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DIALOGUE AVEC LES ORPAILLEURS CLANDESTINS
GUYANE, FRANCE © THIBAUT VERGOZ + CNRS / AGENCE ZEPPELIN
Un géographe français réussit à se faire accepter au sein des orpailleurs illégaux brésiliens en Guyane française. François-Michel Le Tourneau (UMI3157 iGlobes CNRS), expert de l'Amazonie et de ses habitants, a développé une intimité unique avec ces clandestins. En mai-juin 2021, l'aventurier repart au cœur de l'Amazonie afin d'approfondir ses connaissances. Pour cette nouvelle expédition, il choisit d'être accompagné d'une section de 10 légionnaires sélectionnés pour leur rusticité et leur endurance. Ensemble, ils vont traverser la forêt guyanaise d'Est en Ouest, en pleine saison des pluies, parcourant 320 kilomètres à pied en 6 semaines. D'ordinaire, ces hommes des compagnies de combat du 3ème régiment étranger d'infanterie ont pour mission de traquer et détruire les campements d'orpailleurs illégaux et ce, dans le cadre de l'opération Harpie orchestrée par les Forces armées en Guyane. Mais cette fois, c'est en paix qu'ils vont aller avec le scientifique à la rencontre de ces hommes et de ces femmes qui ont choisi de travailler en pleine jungle. Loin de chez eux, ils vivent avec l'espoir de rapporter quelques centaines de grammes d'or qui leur permettront de rentrer un jour au Brésil pour y vivre convenablement.

Durant cette grande marche, le scientifique et les militaires vont s'immerger dans le garimpo : un système socio-économique parallèle, incroyablement complexe et organisé, où tout se paye en or, en affrontant les conditions climatiques épouvantables de la jungle amazonienne. Unique en son genre, cette expédition dresse un profil nouveau des garimpeiros, loin des idées reçues et des clichés habituels de bandits destructeurs et violents, sans foi ni loi, que véhiculent les médias. Une situation inhabituelle, voire insolite et perturbante pour certains, où militaires et clandestins vont sympathiser, faire connaissance et partager les tâches du quotidien.
En apparence vierge et impénétrable, la forêt amazonienne est occupée par tout un réseau de pistes et de campements informels. Mais sur les cartes officielles, le garimpo n'existe pas.





Ravitaillement héliporté de l'expédition après deux semaines de marche en pleine jungle. Les militaires et le géographe ont commencé à marcher depuis le fleuve Oyapok à la frontière avec le Brésil. Un hélicoptère Fennec (comme ici) ou Puma de l'Armée de l'air est affecté chaque semaine à l'opération.


La section progresse difficilement dans la jungle amazonienne, empruntant lorsque c'est possible les pistes tracées par les garimpeiros pour circuler. Chacun porte un paquetage d'une trentaine de kilos. La chaleur, l'humidité et les averses de pluies diluviennes rendent la marche très éprouvante.


François-Michel fait un point sur la navigation avec le lieutenant Mathieu, à l'aide d'une tablette numérique étanche qui affiche les cartes topographiques et le point GPS de l'objectif. Le rythme de la section est de 50 minutes de marche pour 10 minutes de pause. La halte de midi est un peu plus longue afin de s'alimenter, et dure environ 45 minutes.


François-Michel brûle ses déchets en discutant avec l'adjudant Kuz (un Russe), durant une journée de repos à l'occasion du ravitaillement de l'expédition. Le géographe a développé une grande complicité avec les légionnaires du 3ème Régiment étranger d'infanterie, très aguerris aux difficultés de la jungle.
Segment de la rivière Inini ravagé par l'orpaillage alluvial clandestin.





La section découvre une « caieira » récemment abandonnée. Cette fosse creusée dans le sol servait à fabriquer du charbon à partir de bois lentement consumé pendant 24 à 48 heures sous des palmes. Le charbon servait essentiellement à alimenter le fourneau de la cuisinière d'un camp d'orpaillage.


Les légionnaires trouvent une épicerie qui vient d'être désertée par les garimpeiros probablement prévenus de leur arrivée. Dans ce cas, afin d'éviter d'être attrapés, les clandestins se cachent pendant quelques jours dans la forêt, voire des semaines dans un campement de fortune, avec les affaires et le matériel qu'ils ont pu emporter avec eux.


La section suit une piste tracée par les garimpeiros afin de faciliter la progression et maximiser les chances de rencontres. Toutefois, les passages répétés des quads, chargés de 200 kg de marchandises et équipés de chaînes pour pouvoir évoluer dans ce bourbier, rendent la marche difficile.


La traversée de l'Approuague, bien que près de ses sources, est rendue délicate par la forte montée des eaux occasionnée par les pluies diluviennes.
François-Michel salue Dona Claudia et Frederico, le chef d'un camp d'orpailleurs. Il l'a rencontré deux ans auparavant, et ils sont devenus amis. En 2019, les affaires marchaient bien pour lui, mais depuis, les choses ont changé. Plusieurs opérations Harpie sont passées par là et il a perdu beaucoup de matériel qu'il a fallu remplacer. Dans le même temps, l'or s'est raréfié et aujourd'hui, il se retrouve endetté. Dona Claudia, elle, a trouvé un travail de cuisinière pour aider sa fille qui vient d'avoir un enfant au Brésil. En 2020, alors qu'elle circulait de campement en campement pour se faire embaucher, une opération militaire l'a contrainte à changer de direction. Elle est arrivée sur le camp de Frederico qui l'a finalement engagée. Et ils sont tombés amoureux.





La section arrive dans un camp d'orpailleurs. François-Michel briefe les légionnaires, leur expliquant qu'il compte rester au moins 24 heures sur place afin de pouvoir discuter avec un maximum de garimpeiros et recueillir les informations dont il a besoin. Pour les soldats, ce sera un jour de repos.


François-Michel échange avec des garimpeiros dans un campement. Il connait déjà l'un d'entre eux pour l'avoir rencontré deux ans auparavant, et présente sa démarche aux autres afin de détendre l'atmosphère et créer une relation de confiance. Certains, mais pas tous, accepteront plus tard de se confier à lui.


Le caporal Juan-Sebastian (un Colombien) sympathise rapidement avec les jeunes garimpeiros d'un camp d'orpaillage illégal, car il parle couramment portugais. Après un petit temps de malaise et de méfiance, autant pour les militaires que pour les orpailleurs, l'ambiance se détend.


François-Michel prend un repas offert par des garimpeiros qui l'ont accueilli. Il est entouré à gauche d'un jeune clandestin brésilien, et à droite d'un des légionnaires de la section de marche, le caporal Arturs (un Letton).
Alors que la nuit tombe et que la pluie redouble d'intensité, le propriétaire d'un commerce de la corutelle de Pé de Limão lance son groupe électrogène et allume un poste de télévision qui diffuse alors les informations nationales brésiliennes. Un à un, légionnaires et garimpeiros s'abritent de la pluie et s'installent devant l'écran. Un peu plus tard, un orpailleur partagera un match de foot sur son téléphone portable avec deux légionnaires. Après un petit temps de malaise et de méfiance, autant pour les militaires que pour les orpailleurs, l'ambiance se détendra. Personne n'est dupe, et chacun sait que d'ici quelques semaines la traque reprendra, mais la plupart acceptent de profiter du moment présent.





François-Michel Le Tourneau est géographe spécialiste de la forêt amazonienne et de l'orpaillage illégal en Guyane française. Ici, il consigne au propre ses notes du jour. Le géographe regrette que la réputation sulfureuse des garimpeiros persiste, notamment au sein de la communauté des scientifiques qui viennent travailler in situ.


Un orpailleur montre une vidéo qu'il a filmée avec son téléphone et qui montre des scientifiques « débarquant » en hélicoptère près de leur campement pour y faire des relevés de terrain. Ces derniers ne parlant pas un mot de portugais, il leur était impossible de discuter. L'incompréhension mutuelle a entretenue une crainte réciproque.


Un garimpeiro récolte les fruits du palmier açaí afin de réaliser la boisson traditionnelle de l'Amazonie appréciée de tous et très nutritive. Il doit pour cela grimper le long du tronc à plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Les légionnaires et François-Michel l'aident pour rapporter les fruits au campement. Ces moments de convivialité laisseront un bon souvenir du passage de François-Michel qui doit entretenir sa réputation, basée sur la confiance, au sein du garimpo.


Un orpailleur clandestin montre aux légionnaires quelques sources de nourriture qu'ils utilisent lorsque ces derniers les obligent à se cacher plusieurs jours dans la forêt, voire des semaines, loin de leur camp pour ne pas se faire attraper. En quelques coups de machette, l'orpailleur découpe des cœurs de palmiers qui viendront agrémenter le riz et les haricots du repas de ce soir. « Cuit, on dirait du poulet !  » ajoute le garimpeiro, réjoui.
Le caporal Juan Sebastian (un Colombien) apprécie cette relation avec les garimpeiros, alors qu'habituellement il vient en forêt pour les traquer. Sociable et curieux, il parle portugais et sympathise rapidement avec les orpailleurs : « C'est sûr, c'est étrange pour nous comme pour eux. Mais ce sont des gens comme toi et moi. En opération nous on fait notre boulot, et eux ils protègent leurs affaires, et le fruit de leur travail… c'est normal. Et ils comprennent que c'est pas nous, simples soldats, qui décidons de détruire leurs camps. »
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LE PHOTOGRAPHE THIBAUT VERGOZ
Écologue et géographe de formation, Thibaut a travaillé plusieurs années dans le milieu de la recherche scientifique en tant que biologiste de terrain, avant de se consacrer à la photographie. Il considère ce médium comme un moyen de découvrir, de pénétrer et de documenter les univers qui le fascinent - un moyen d'observer au plus près le monde qui l'entoure. Il s'intéresse à des sujets très variés, mais l'isolement, les populations en marge, les extrêmes et les problématiques environnementales restent au coeur de sa réflexion.