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Le téléphérique de l'Aiguille du Midi est le plus haut d'Europe, le deuxième au monde. Plus de 800 000 visiteurs l'empruntent chaque année, dont la moitié entre juin et septembre, pour admirer l'un des plus beaux panoramas de France. Une prouesse technologique dont l'exploitation reste assujettie à la sécurité des passagers. Les aléas mécaniques, les caprices de la météo et le mal d'altitude sont autant d'écueils que les techniciens tentent d'éviter. Une gageure à hauts risques pour des hommes qui exploitent un mythe. Le téléphérique est scindé en deux tronçons indépendants. Chaque cabine emmène environ 70 personnes depuis le centre-ville (1 038 m d'altitude). La première cabine fait halte au plan de l'Aiguille (2 317 m), mais les passagers préfèrent continuer en empruntant la seconde cabine qui les porte jusqu'à la gare supérieure (3 776 m). Parvenus au sommet de l'Aiguille au moyen d'un ultime ascenseur (3 842 m), les touristes du monde entier peuvent contempler la majesté du massif alpin couplée à la prouesse du génie civil. Le toit de l'Europe est là, presque à portée de main. Un spectacle à couper le souffle, l'effet de l'altitude jouant les troubles fêtes pour une femme qui, ce jour-là, fit une crise de tétanie. Rien de grave pour les gars du téléphérique qui connaissent la procédure. Eux-mêmes qui passent souvent la nuit au sommet savent combien il est difficile de s'habituer à l'altitude. Malgré les recommandations, les touristes ne désemplissent pas. Parmi eux, on trouve également des alpinistes pour qui l'Aiguille offre un point de départ idéal. Mais la majorité des sportifs qui empruntent le téléphérique sont des skieurs. « Une bonne journée de vallée Blanche draine 2 000 à 2 500 skieurs » précise Émeric, directeur adjoint à l'exploitation. « Pour bien profiter de la descente, mieux vaut arriver tôt et attraper la première benne vers huit heures » confie-t-il, lui-même amateur de poudreuse. À l'Aiguille, la technique cède vite le pas à une somme d'énergies humaines toujours ancrées dans l'amour de la montagne. Les techniciens du téléphérique, tous passionnés de leur travail, ne manquent jamais une occasion d'aller skier. Ouvert en 1955, le téléphérique de l'Aiguille du Midi hérite d'une première ligne exploitée dans les années 1920 jusqu'en 1951. L'ouvrage actuel plus direct, plus puissant et surtout plus sûr, acquit une réputation d'envergure mondiale. Aujourd'hui encore, personne ne saurait rester insensible au caractère exceptionnel du second tronçon avec sa portée de 2 870 m pour 1 470 m de dénivelé sans pylône. Une prouesse technologique qui n'en demeure pas moins soumise aux caprices de la météo : le vent et la foudre sont les pires ennemis du treuilliste. 17 heures. Le téléphérique est fermé au public mais la journée n'est pas terminée. Les mécanos doivent changer un galet au sommet d'un pylône : une poulie de 80 kg dont la gomme s'use au passage du câble. Pour y accéder, ils n'ont pas d'autre choix que de grimper sur le toit d'une cabine. Perché au dessus de la vallée assombrie, éclairé par les rayons orangés du couchant, Jérôme s'exclame : « On a quand même le plus beau bureau du monde ! » La besogne achevée, les gars rentrent au chaud avec leurs harnais. Au réfectoire, une photo montre la dernière grande rénovation des équipements en 1991. On reconnaît Yvon, en plus jeune. Aujourd'hui devenu responsable du plan de l'Aiguille, il connaît tout de la machine. Pour une vibration étrange, un grincement suspect, son regard se porte aussitôt sur Guillaume, le jeune treuilliste qui a travaillé sur les remontées mécaniques du monde entier. Ici pas besoin de se parler, tout le monde connaît son travail et la relève est assurée. La dernière cabine est descendue avec la vingtaine d'employés de la plateforme d'altitude. Les deux gardiens sont désormais seuls à bord du nid d'aigle. Ils procèdent à un premier tour de veille pour s'assurer que tout est en ordre. Le vent s'est levé, on annonce de la neige pour demain. D'ici là, Éric et Bruno dormiront quelques heures si tout va bien. Mais toute la nuit, ils resteront à l'affût du moindre appel d'urgence. Pour le Peloton de gendarmerie de haute-montagne (PGHM) et la Sécurité civile, les sentinelles de l'Aiguille restent un partenaire privilégié en cas d'accident sur le secteur. Ainsi, tout doit être prêt s'il fallait organiser un secours en montagne, surtout si l'hélicoptère de service ne pouvait décoller. Une petite chambre a même été aménagée pour passer la nuit. « Mais pas question que l'Aiguille se transforme en hôtel pour touristes en mal de conditions extrêmes » grommelle Éric. Comme pour dire qu'on n'est pas comme les autres quand on dort trois fois par mois à 4 000 m d'altitude, Éric veut garder les lieux privilégiés. Vieux loup et fort en gueule, il avoue pourtant qu'on ne dort pas aussi bien qu'à la maison, et qu'on ne s'habitue jamais vraiment aux effets de l'altitude. Dehors la tempête se déchaîne, les bourrasques tapent aux portes, le vent s'engouffre dans le dédale des galeries rocheuses quand soudain, l'électricité se coupe. Assis dans le noir, les deux compères tendent l'oreille. On se sentirait dans la cale d'un navire dérivant en plein orage si les groupes électrogènes ne s'étaient pas mis en branle. L'électricité revient, repart, ainsi de suite pendant près d'une heure. Attentifs, les gardiens sont prêts à intervenir. Finalement non, les automates font leur travail. D'ailleurs les groupes électrogènes seraient capables de tenir des jours entiers en cas de gros temps. Mais il se fait tard et le pire n'est pas pour ce soir, foi de montagnards. Leurs deux chambres s'éteignent pour de bon, tandis que le trident de granite continue de briller dans le ciel des Alpes. Julien Pannetier
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