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ÉCOLE NAVALE LES SURDOUÉS DE LA MER
LANVÉOC, FINISTÈRE, FRANCE  •  PHOTOS © ZEPPELIN
Sise en presqu'île de Crozon, au creux de la rade de Brest, l'Ecole navale forme tous les officiers de la Marine nationale française. Un Finistère où commencent la mer et les carrières qu'elle suscite. Marin, militaire, et ingénieur, l'officier de Marine peut commander un bateau ou un sous-marin, veiller aux installations électriques d'un bâtiment, encadrer des opérations commando ou devenir pilote de chasse. Un éventail qui attire principalement les hommes, même si la Marine nationale est féminisée à hauteur de presque 14%.
Une grande école d'ingénieurs

Lundi, 7h59. Les jeunes déboulent par cinq des voitures. Ils grimpent à la hâte dans leurs chambres pour s'habiller, saluant les officiers comme pour dire qu'ils ne sont pas en retard. Dans le hall, une gigantesque sculpture de Neptune fait figure de proue. On peut lire la devise de la Marine : Honneur et Patrie, Valeur et Discipline… le ton est donné. A 8h15, 500 militaires se rassemblent devant la mer pour hisser les couleurs – uniformes impeccables et rasés de près. Alors la journée peut commencer.

Poussés par l'exigence et la rigueur d'une grande école militaire, les élèves développent les compétences qui feront d'eux les chefs de demain. Pour comprendre les enjeux du monde moderne, ils suivent des cours de géopolitique, de droit ou encore d'histoire. Pour acquérir progressivement le sens marin, ils embarquent sur l'Etoile et la Belle Poule, deux superbes goélettes de 1932. Pour comprendre les systèmes de production d'énergie et de propulsion des navires contemporains, ils font de la mécanique, de l'électronique, de l'informatique et de l'hydrodynamique. Les élèves achèvent ainsi leur cursus avec le diplôme d'ingénieur.

Pour allier la théorie à la pratique, l'école dispose d'un simulateur de navigation. Quatre salles en réseau reproduisent les passerelles de bâtiments fictifs. Les structures ne bougent pas, mais les écrans donnent l'illusion de naviguer. D'ailleurs l'oreille interne est vite déboussolée. Un poste de commande permet de dérouler divers scénarios. Chaque élève passe chef de quart, timonier, opérateur radar, barreur et chef machine. On peut même rajouter des voiliers, une tempête ou une avarie de barre pour pimenter la situation.

Surchargés mais encouragés par les enseignants, poussés aux limites par les instructeurs, les futurs officiers ne tardent pas à développer l'esprit de corps. Logés par cinq dans un poste, une sorte de duplex avec vue sur mer, ils révisent les cours et bien volontiers les chansons et l'argot particulièrement étoffé de la Marine. Les bordaches, comme on les appelle, organisent même un bal de fin d'année, le dernier du genre en France. Vêtus de spencers ou en robes de soirée, ils convient leurs proches pour dîner devant la statue de Neptune. Après les chants choraux et les feux d'artifice, le major de promo invite l'épouse de l'amiral à danser une valse. S'ensuivent les rock n' roll endiablés. L'Ecole navale, autrefois surnommée la Royale, n'a pas tout perdu de ses lettres de noblesse.


Devenir chef

Devenir chef militaire ne s'improvise pas. La formation au commandement requiert l'apprentissage d'un mille-feuilles de procédures qui ne laisse pas de place au hasard. Avant chaque opération, les élèves restituent leurs connaissances pour monter un briefing détaillé. Les objectifs sont ciblés, les paramètres évalués et les imprévus maîtrisés. Seule la fatigue pourrait encore jouer des tours à ces surdoués de la mer, c'est pourquoi ils doivent s'aguerrir.

L'aguerrissement a pour but de réduire les obstacles physiques et psychologiques. Les futurs officiers doivent toujours garder les idées claires pendant l'effort. Même les moniteurs sportifs leur demandent d'apprendre des poèmes par cœur au beau milieu d'une course à la rame. Le parcours du combattant, les marches de nuit et le stage commando à Lorient permettent à chacun de mieux cerner ses propres limites. Autant d'épreuves qui développent la cohésion et insufflent l'esprit d'équipage.

Les élèves sont régulièrement mis en situation pour accomplir des missions de plus en plus complexes. Une fois acquis le briefing et la conduite d'une équipe, ils sont initiés au combat d'infanterie. A la fin de la deuxième année, ils participent à l'exercice Espadon qui intègre l'aspect maritime des missions amphibies.

Ainsi au cours du mois de mai, la rade de Brest devient le théâtre d'affrontements en tout genre. Pendant quatre jours, les exercices s'enchaînent à terre et en mer, de jour et de nuit. Les élèves sautent dans des zodiacs pour arraisonner des bateaux, identifier et maîtriser des pirates, débusquer leurs armes et éventuellement de la drogue. Un suspect qui refuse d'obtempérer, un couteau dissimulé dans sa chaussure, une radio qui tombe à l'eau sont autant de problèmes qu'il faut résoudre promptement. Les réactions face à l'imprévu sont vite évaluées. Encore que, le commandant insiste : « Il n'y a pas d'imprévu quand on a fait un bon briefing ! »

Un peu plus tard, les élèves ont pour mission d'évacuer un groupe de ressortissants par la mer. Ils débarquent discrètement en presqu'île de Crozon pour sécuriser la plage sous le regard amusé de quelques promeneurs. L'officier attend d'être à l'écart avant d'allumer quelques pétards. Il simule des tirs ennemis, provoquant un retournement de situation qui perturbe les élèves. Faut-il évacuer un blessé ? Organiser un repli ? Renoncer à la mission ? Les doutes envahissent le futur officier qui doit faire preuve de discernement pour entamer la procédure adéquate. Ni l'imprévu, ni la fatigue ne doivent compromettre l'opération.

Pressés de recouvrer des forces, les élèves engloutissent leurs rations de combat : Muesli, lait en poudre, plats cuisinés, crèmes de camembert, biscuits, caramels… il paraît qu'en Afghanistan, une ration française s'échange contre deux ou trois anglaises. Mais trêve de palabres ; les élèves s'endorment sur leur gilet de sauvetage, trempés jusqu'aux os, le fusil salé par les embruns. Il est midi et ils n'ont pas vraiment dormi depuis trois jours.

Dans l'après-midi, un autre exercice consiste à prendre une colline pour préparer l'arrivée d'un hélicoptère. Point d'orgue de la simulation, un Caïman, le plus gros hélico de la Marine nationale, a prêté son concours pour l'occasion. Prévenus un peu plus tôt, les élèves n'en reviennent toujours pas. Les traits tirés mais la mine réjouie, ils sont hélitreuillés dix par dix jusqu'au VN Partisan, un navire multitâche de 80 m qui sert pour l'heure de base opérationnelle. Emprunts de fierté, ils avouent qu'ils ne s'attendaient pas à une telle qualité de moyens dans l'apprentissage de leur métier.


Commander en mer

Tout au long de leur cursus, les élèves multiplient les sorties en mer jusqu'à la fameuse mission Jeanne d'Arc : quatre mois à bord d'un BPC (bâtiment de projection et de commandement) de type Mistral. En attendant ce fantastique déploiement technologique, les élèves de deuxième année effectuent la corvette Gants blancs, souvent la première occasion d'escale à l'étranger. C'est ainsi qu'à la fin du printemps, cinq bâtiments-école appareillent de Brest pour la Pologne, et plus tard la Finlande. Un voyage de deux semaines durant lesquelles chaque aspirant doit gagner la confiance du pacha.

« C'est le moment de faire comme si nous n'étions pas là ! » signale le commandant du Guépard. « Vous devez prendre des initiatives sans vous reposer sur nous, » renchérit le premier maître. Bref, il est temps de prendre de l'assurance ; mais à peine sortent-ils de la rade qu'on annonce du grain en mer du Nord. Une mauvaise nouvelle pour les apprentis marins qui redoutent la tenue de ces « petits » bateaux de 43 m dans la houle. Qu'importe la dégradation, ils doivent franchir le canal de Kiel à temps.

Les élèves se succèdent par groupes de quatre en passerelle. Chacun passe chef de quart pour exécuter les consignes du pacha, haut perché sur son fauteuil en cuir. Ils s'entraînent à la navigation côtière, aux chenalages, aux évolutions tactiques, aux exercices d'hommes à la mer ou d'avarie de barre. Pendant quatre heures, le jeune chef donne des ordres aux officiers de manœuvre qui obéissent sans délais. Il adapte l'allure et le cap en prenant toujours en compte la position du bateau, le tirant d'eau, la marée, le courant, la météo, la visibilité, les navires et les amers en vue. Bien sûr, il doit prévoir les routes à suivre lors du quart suivant.

Les journées en mer sont la promesse des plus beaux couchers de soleil. Le crépuscule repose les yeux cernés, mais bientôt la lumière est trop faible. Les hommes doivent réduire l'éclairage de leurs écrans de contrôle pour continuer à travailler dans la pénombre. Le commandant s'apprête à rejoindre sa cabine quand il rappelle aux élèves : « Un bon chef de quart est capable de me réveiller à 4h du matin. S'il hésite, c'est qu'il est déjà trop tard. Je veux pouvoir vous faire confiance. Préserver le bateau, c'est protéger l'équipage et sur ce point, je ne laisserai rien passer ! » Il quitte la passerelle mais la tension reste palpable. La radio crache des accents germaniques, slaves, indiens… ce sont des porte-conteneurs. Leurs feux scintillent à bâbord des écoliers qui doivent garder leurs distances.

Le lendemain, la mer se forme et l'inquiétude gagne peu à peu les élèves. La proue s'enfonce toujours plus dans les vagues qui occultent les vitres. Le commandant interdit à quiconque de sortir sur les extérieurs : c'est mer 5/6. Le navire bringuebale l'équipage qui s'accroche comme il peut. Presque tout le monde vomit. Pourtant le cuisinier avait préparé une brandade pour tenir aux ventres. Rien n'y fait, il faut prendre son quart. « Travailler dans des conditions difficiles, c'est la meilleure école de navigation, » lance le commandant en second étrangement à l'aise. Le temps du simulateur paraît bien loin.

« Branle-bas ! Branle-bas ! » tonnent les haut-parleurs pour réveiller l'équipage. La fatigue se fait sentir mais l'escale est proche. Copenhague accueille les marins français sous un soleil radieux. Le bateau est nettoyé de fond en comble. Pour le reste, tout ce qui se passe en escale reste en escale.

© ZEPPELIN













LES PHOTOGRAPHES  ZEPPELIN
Géographes et photojournalistes, Bruno VALENTIN et Julien PANNETIER ont fondé ZEPPELIN en 2008. Ils voyagent pour comprendre comment les Hommes gèrent et utilisent l'espace. Ils travaillent main dans la main pour réaliser des reportages et les proposer à la presse française et internationale. Du golfe du Bengale à l'aiguille du Midi, des moines de la Grande Chartreuse aux officiers de la Marine nationale, ils signent toutes leurs images ZEPPELIN.