|
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
|
Le lac Malawi impressionne tant par sa taille que sa biodiversité. D'une surface de quelque 29 000 km², avec une profondeur atteignant 704 mètres, cette gigantesque masse d'eau douce abrite un millier d'espèces de poissons, avec un taux d'endémisme particulièrement élevé. Malheureusement certaines espèces se raréfient, notamment trois du genre Oreochromis qui se confondent sous le nom de « chambo ». En 2004 déjà, l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) estimait leur déclin à 70 % sur les dix années écoulées. Entre 2006 et 2016, une étude du biologiste George F. Turner montrait que les captures de chambos au sud du lac sont passées de 70 kg par bateau et par jour, à 4,5 kg. Considéré comme le poisson préféré des Malawites, le chambo est victime de son succès. De l'avis général, l'année 2015 marque le terminateur des chambos. Classés en « danger critique d'extinction » depuis 2018, ils sont poursuivis sans relâche par les pêcheurs. Nuit après nuit, ces modestes hommes éclairent la surface de l'eau pour leurrer les derniers poissons, toujours plus petits. D'ailleurs l'espèce Oreochromis lidole, qui n'a pas été observée depuis 1992, pourrait avoir disparu. À l'image de cet amour à mort, la crise que traverse la filière pêche ne lui empêche pourtant pas d'attirer plus de travailleurs. Le secteur de la pêche est d'abord artisanal. Une flotte industrielle occupe bel et bien les lieux, mais la taille et l'éventail des chalutiers demeurent réduits. Ces petites et moyennes entreprises sont d'ailleurs soumises à des quotas, totalisant moins de 10 % des prises annuelles. Tout le reste est produit par une myriade de petites embarcations, qu'il s'agisse de chaloupes de 5 mètres de long, ou bien de simples pirogues monoxyles. Taillées dans des troncs d'arbres, ces dernières illustrent un marché florissant. Celui du pêcheur autodidacte, débiteur et opportuniste. Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), 1,6 million de Malawites vivraient directement et indirectement de la pêche en 2021. Ce chiffre rassemble les pêcheurs eux-mêmes, les transformateurs, les commerçants, les charpentiers de marine et bien sûr leurs familles. Autant de bouches à nourrir, quitte à employer des moyens illégaux pour y parvenir. En 2002, le Fonds africain de développement (FAD) considérait que la majorité des prises commerciales malawites ne concerne qu'un petit nombre d'espèces de poissons, et que « jusqu'à 70 % des prises réalisées dans le lac Malawi sont composées d'usipas (Engraulicypris sardella), d'utakas (Haplochromis spp.) et de chambos (Oreochromis spp.) ». Encore aujourd'hui, c'est ce que l'on constate à la remontée des filets. Mais le fait est que les stocks halieutiques déclinent, et qu'au fur et à mesure, les méthodes de pêche illégales prennent de l'ampleur. Les pêcheurs, qui ne sont pas toujours propriétaires de leurs bateaux, ont recours à des outils peu coûteux, mais souvent ravageurs. Bon nombre emploient des filets en monofilament de nylon qui, une fois cassés ou perdus, ne se dégradent pas et continuent à capturer les poissons. Pour rien. Transparents, ces « filets fantômes » représentent un véritable fléau pour la faune. Pire, les plus démunis n'hésitent pas à assembler de vulgaires moustiquaires pour attraper les alevins qui nagent près de la plage. Un piège imparable pour les œufs et les juvéniles qui n'auront pas le temps de se reproduire. Et une catastrophe écologique à l'échelle du lac, dont les rives sont peu à peu saccagées. En effet, les roselières, qui constituent des zones de frai et des nurseries pour les poissons, sont massivement abattues afin de fournir un matériau de construction pour les cases. Aujourd'hui, il n'existe pas de loi contre la destruction systématique de ces habitats naturels, mais une prise de conscience générale s'amorce. Si certaines zones du lac sont protégées par les rangers du Parc national du lac Malawi qui patrouillent jour et nuit pour lutter contre la pêche illégale, il faut rappeler que cette aire réglementée existe depuis 1980, et que son efficacité est relative au vu de la catastrophe. Classé quatre ans plus tard au Patrimoine mondial de l'UNESCO, ce Parc national qui ne couvre que 94 km², c'est-à-dire 0,3 % de la superficie du lac, ne saurait garantir la protection de toutes les espèces présentes. Au moment de son inscription, le Comité du patrimoine mondial recommandait déjà de l'étendre : « L'intégrité à long terme du bien dépend largement de la conservation globale et de la gestion du lac qui sont placées sous la juridiction de trois États souverains, à savoir le Malawi, la Tanzanie et le Mozambique », préconisaient les experts. Aujourd'hui, ce projet est au point mort, mais des initiatives se développent. Véritable courroie de transmission des directives ministérielles, chaque BVC opère une précieuse sensibilisation à l'échelle locale. Petit à petit, les pêcheurs appliquent les bons gestes, s'appropriant les mesures de conservation destinées à régénérer la qualité et la quantité de poissons dans le lac. À Senga Bay, le BVC est même parvenu à déposer un arrêté interdisant la pêche parmi les roselières. Celui de Monkey Bay projette quant à lui de créer un sanctuaire afin d'exclure définitivement la pêche de là où vivent les hippopotames, près de Venice Beach. Autant de perspectives rassurantes, même si le contexte économique reste sous tension. Ressource indispensable pour les Malawites, le lac « Nyasa », tel qu'on l'appelle en Tanzanie et au Mozambique, est plus que jamais sous la responsabilité de ses usagers. En attendant le développement durable de la région, c'est d'une gestion ciblée des écosystèmes d'eau douce dont dépend l'avenir de la biodiversité. Julien Pannetier
|
| ||||