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LE LAC EMPOISONNÉ DES MOHANAS
PAKISTAN, PROVINCE DE SINDH, LAC MANCHAR  •  PHOTOS © GUILLAUME PETERMANN / AGENCE ZEPPELIN
Le plus grand lac du Pakistan se meurt. Pollué depuis les années 1990 et la construction d'un canal pour drainer les plaines du Sindh, le lac Manchar accumule des flux saumâtres chargés d'engrais et de pesticides. Ici résident pourtant les Mohanas, un peuple de pêcheurs qui a longtemps vécu en symbiose avec cet écosystème nourricier. Aujourd'hui, ceux que l'on surnomme « le peuple oiseau » voient le poisson disparaître et l'eau rendre malade. Inexorablement, ils se résignent à quitter leur maisons-bateaux et leur mode de vie millénaire.
Au milieu des hérons, un chasseur mohana sort lentement de l'eau, avec dans sa main, une fine branche au bout de laquelle un oiseau vivant lui sert de leurre pour en piéger d'autres.





Sur le lac Manchar, vaste miroir d'eau douce de près de 250 km², le dernier village lacustre des Mohanas ne compte plus qu'une quarantaine de galiyo. Faute d'entretien, ces habitations flottantes disparaissent peu à peu, engloutissant avec eux un mode de vie ancestral. Les Mohanas sont alors contraints de se sédentariser sur la berge.


Mohamed s'apprête à jeter son filet dans l'eau. Seuls les Mohanas les plus âgés savent encore utiliser cette technique de pêche, désormais presque abandonnée. « Autrefois je ramenais du poisson pratiquement à chaque lancer, mais aujourd'hui, même après des heures de pêche, je reviens souvent bredouille », rapporte Mohamed.
MISÈRE ET DIGNITÉ
Trois enfants jouent avec un bidon vide sur une berge du Right Bank Outfall Drain (RBOD). De ce canal convergent les eaux saumâtres, les pesticides et les rédidus d'engrais de la plaine du Sindh. Comble du cynisme, c'est sur cette berge surélevée que les Mohanas ont trouvé refuge.





Un père parle à son fils derrière les grilles de l'unique marché aux poissons du lac Manchar. Autrefois, la pêche des Mohanas nourrissait toute une région. Aujourd'hui, elle ne suffit plus à faire vivre les familles. Et avec elle, c'est toute une culture qui vacille, à la dérive sur un lac qui n'est plus qu'un mirage de ce qu'il fut. Mais les Mohanas s'accrochent encore, avec l'espoir d'un avenir meilleur pour leurs enfants.


Les prises sont triées par espèce et par taille. Dans les années 1930, on recensait plus de 200 espèces de poissons, mais en 1998, il n'en restait plus que 32. Depuis lors, une dizaine ont encore disparu. Les espèces qui subsistent aujourd'hui sont des tilapias, des gardons, des silures et des poissons-chats. Ces animaux sont capables de résister à la pollution de l'eau, mais ils ne suffisent plus à nourrir la communauté mohana.
LA MAUVAISE EAU
Une jeune Mohana vient remplir un bidon d'eau potable auprès d'un des rares camions-citernes qui se rendent sur les rives du lac. Remplir ces bidons est devenu un rituel quotidien pour les Mohanas. L'eau du lac, désormais impropre à la consommation, les contraint à payer 50 roupies pakistanaises (0,15 euro) pour chaque bidon de 20 litres. Une somme énorme pour ceux qui ne pêchent plus que quelques kilos de poissons par semaine.





Hira lave ses ustensiles de cuisine dans les eaux troubles et polluées du Right Bank Outfall Drain (RBOD), à l'instar de la lessive et des toilettes. L'eau potable, trop précieuse, est réservée à la boisson et à la préparation des repas. Malgré cela, les maladies de peau, diarrhées et infections chroniques prolifèrent parmi les habitants du lac Manchar.


La base de l'alimentation des Mohanas est faite de chapatis, ces galettes de farine et d'eau cuites au feu de bois sur une plaque en fonte. C'est ce que prépare Asna à bord de son galiyo (bateau en bois à fond plat). Quant à son époux, il ne peut plus rien faire car il est devenu aveugle, suite à un trachome qu'il a contracté dans l'eau polluée du lac.
LES MOYENS DU BORD
Sur les eaux du lac Manchar navigue le premier bateau solaire équipé d'une unité de filtration d'eau par osmose inversée. Il s'agit d'un projet pilote ayant pour but de permettre à quelques familles mohanas d'accéder à une eau potable sans devoir l'acheter au prix fort.





Au Pakistan, où l'islam joue un rôle primordial, définissant l'existence même et l'identité de la nation, chaque village a sa mosquée. Mais ici, les Mohanas comptent parmi les rares communautés sans lieu de prière attitré. L'imam appelle à la prière à l'aide d'un micro rouillé et de haut-parleurs hors d'âge. La foi se pratique à ciel ouvert.


Bashir tente de recharger son téléphone portable sur la seule source d'électricité du camp : un panneau solaire connecté à quelques batteries. Comme l'eau potable, l'accès à l'électricité est un luxe précaire pour les Mohanas. Le téléphone est souvent leur seul lien avec le monde extérieur.
L'HÉRITAGE DU L'INDUS
À 100 kilomètres au nord du lac Manchar subsistent les ruines de Mohenjo-Daro, un site majeur de la civilisation de l'Indus, fondé il y a près de 4600 ans. La ville haute servait à la fois de centre religieux et administratif. À son sommet, on trouve un stupa bouddhiste construit au IIe siècle sur les ruines de l'ancienne citadelle. Bains publics, systèmes de drainage et d'égouts, les ruines archéologiques révèlent un habitat urbain particulièrement sophistiqué pour l'époque.





Un artisan sculpte un décor sur un bordage qui servira à la construction d'un bateau. Des archéologues ont par ailleurs mis au jour des sceaux ornés de bateaux datant de la civilisation de l'Indus, et dont les motifs rappellent ceux qu'utilisent encore aujourd'hui les Mohanas.


Un charpentier répare un galiyo, le bateau emblématique des Mohanas. Cette embarcation en bois à fond plat leur sert traditionnellement de maison. Ainsi les Mohanas ont-ils modelé leur patrimoine en fonction de leur milieu de vie : la pêche et la chasse au fil de l'eau.
LES DERNIERS POISSONS
Un hurro, pirogue traditionnelle des Mohanas, fend lentement les eaux du lac Manchar où croissent des roseaux. Cet écosystème nourricier est désormais menacé par la pollution et, en conséquence, par la pression qu'exercent les derniers pêcheurs.





De part et d'autre du Right Bank Outfall Drain (RBOD), des pêcheurs mohanas tendent un large filet, espérant rabattre quelques poissons vers un piège en aval. Une technique épuisante pour un butin souvent dérisoire.


Un groupe de pêcheurs rangent leurs filets. Chaque capture est devenue si rare qu'ils n'hésitent plus à pêcher dans les zones de frai et durant la période de reproduction, mettant en péril la ressource halieutique.
UNE AGRICULTURE PRÉDATRICE
Dès leur plus jeune âge, les Mohanas grandissent entourés d'oiseaux. Surnommés « le peuple des oiseaux », ils perpétuent avec eux une relation faite d'intimité et d'habitude. Compagnons de pêche, animaux de compagnie, parfois nourriture ou bien marchandé, les oiseaux sont au cœur de leur culture. Mais aujourd'hui, à mesure qu'ils apprennent d'autres langues et d'autres métiers, cette culture s'éteint, et avec elle, un mode de vie.





Sans aucune protection, un ouvrier pulvérise des pesticides sur un champ de moutarde. L'utilisation des pesticides a des effets directs sur la santé des agriculteurs mais aussi sur l'environnement. Les résidus se diffusent dans les sols, les nappes phréatiques et, inévitablement, jusqu'au lac Manchar. L'agriculture est la colonne vertébrale de la province du Sindh, employant près de 70 % de sa population. Mais seules quelques familles contrôlent la majorité des terres arables où se cultivent blé, coton et riz.


Des ouvriers agricoles s'affairent au chargement de paille de blé dans des camions. Les uns ratissent la paille, les autres hissent les ballots par une échelle. Des réhausses entoilées permettent de doubler la capacité d'emport de chaque camion, et ce, d'autant que la paille est tassée avec les pieds au sommet de la remorque. Une fois hachée, cette paille deviendra un fourrage important et très populaire pour les bovins au Pakistan. Elle sera ainsi distribuée vers les grandes villes du pays.
LES SOUPIRS D'UN PEUPLE
Pompage illégal de l'eau depuis un canal d'irrigation. Usant de leur influence politique, les grands propriétaires terriens qui exploitent les plaines agricoles du Sindh ont progressivement pris le contrôle du service d'irrigation, manipulant les lois en vigueur pour détourner davantage d'eau vers leurs terres, réduisant drastiquement par la même occasion le flux d'eau douce arrivant jusqu'au lac Manchar.





Quand les filets ne ramènent plus grand-chose, les Mohanas perpétuent une pratique unique au monde : la chasse aux oiseaux… à l'aide d'oiseaux. Ici, le chasseur a préalablement attaché une aigrette à une branche pour qu'elle fasse diversion. Les Mohanas perpétuent cette chasse silencieuse et rusée, où l'art de l'attente se mêle à celui du camouflage.


Ali Kasghar est l'un des derniers maîtres de cette chasse ancestrale. Il s'immerge jusqu'au cou avec un oiseau empaillé sur la tête comme camouflage. Un autre oiseau vivant, attaché au bout d'une branche, lui sert de leurre. Il peut ainsi s'approcher lentement de sa proie, jusqu'au moment fatidique où, d'un mouvement foudroyant, il la saisit.
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LE PHOTOGRAPHE  GUILLAUME PETERMANN
Photographe et graphiste de formation, Guillaume aime s'aventurer dans des zones difficiles d'accès à la rencontre de leurs habitants. Son travail s'articule essentiellement autour du photoreportage et couvre des thématiques aussi variées que le voyage ou le documentaire culturel, social et environnemental. Des montagnes du Pamir aux mines d'or artisanales de Guinée, en passant par la vallée de l'Omo en Éthiopie ou l'île de Socotra au Yémen, Guillaume cherche en permanence la meilleure lumière pour révéler l'âme de ses sujets.