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DE L'OR DANS LES ÉGOUTS
DHAKA (BANGLADESH) + KOLKATA (INDE)  •  PHOTOS © ZEPPELIN
Un trésor se cache sous les trottoirs d'Asie du Sud. Chaque nuit, les plus dégourdis s'immergent dans les égouts pour le découvrir. Crottés de la tête aux pieds, ils remontent des sédiments aussi infects que précieux. Ils cherchent de la poussière d'or que des joailliers peu regardants évacuent avec leurs eaux usées. Pas de quoi ameuter les foules, mais suffisamment pour faire vivre quelques familles.  LIRE LA SUITE
[Dhaka, Bangladesh] Un homme s'amuse à marcher sur une bouée au milieu du Gol Talab. Ce bassin de presque un hectare témoigne d'une période fastueuse, lorsque les nawabs de Dhaka, au XIXème siècle, vivaient dans le palais Ahsan Manzil, dont on devine le dôme rose ici à gauche. Aujourd'hui, sous la pression démographique, les promoteurs immobiliers ont détruit la grande majorité des maisons coloniales.





[Dhaka, Bangladesh] Un jeune homme fait une prière au-dessus de la rivière Buriganga. En cette saison sèche, il s'apprête à plonger pendant une quinzaine de minutes dans l'eau opaque pour récolter toutes sortes d'objets tombés au fond. Il revêt un scaphandre dans lequel un compresseur embarqué insuffle de l'air via un tuyau. Un métier à hauts risques, et ce, d'autant qu'une imposante batellerie croise à proximité.


[Dhaka, Bangladesh] Les rickshaws s'entremêlent dans le quartier de Bangla Bazar. Dhaka abrite plus de 13 millions d'habitants, et l'exode rural continue de gonfler les banlieues tentaculaires de la mégapole. Encore aujourd'hui, le centre-ville historique est le théâtre de nombreuses activités artisanales, industrielles et commerciales. Un bouillonnement qui provoque de gigantesques embouteillages.
[Dhaka, Bangladesh] Une dizaine d'hommes sortent des égouts sur North-South Road. À l'approche de la saison des pluies, ils sont employés par la municipalité pour déboucher les canaux souterrains. Au Bangladesh, en ville comme à la campagne, les déchets sont jetés sans précaution, et le remplacement des sacs plastiques par des filets est un moindre mal pour l'évacuation des eaux usées.





[Dhaka, Bangladesh] Recroquevillé dans le regard d'un égout, Hassan ramasse les matières qui se sont accumulées dans les recoins pour trouver de l'or. Expérimenté, l'homme ne cherche pas de pépite, mais de la poussière qui se serait échappée des joailleries. Au Bangladesh, ces ateliers ne disposent effectivement pas de systèmes filtrants les eaux usées.


[Calcutta, Inde] Akash tourne sa batée remplie de boue, de sable et peut-être d'or. À moitié immergé dans une bouche d'égout, Ragu, son frère aîné, regarde la foule qui le toise. Originaires d'Agra, ils ont longtemps cherché de l'or à Delhi avant que les égouts ne soient rénovés. Dès lors, ils ont préféré venir travailler parmi les canalisations tortueuses de Calcutta.


[Dhaka, Bangladesh] Après avoir négocié le droit d'accéder aux parties privatives des égouts de Shakhari Bazar, Ajom en ressort par une échelle. La misère le pousse à chercher de l'or au plus près des joailleries, comme ici où les canalisations convergent.


[Dhaka, Bangladesh] Ajom hisse un seau rempli de boue aurifère que lui transmet Hassan du fond de l'égout. Unissant leurs efforts pour gagner leurs vies, ils s'entendent parfaitement pour exécuter les opérations les plus périlleuses.
[Dhaka, Bangladesh] Petit à petit, écuelle après écuelle, Hassan rempli des seaux de boue noirâtre. De ce théâtre méphitique, où la terre se mêle à l'urine, le sable à la pourriture, les lessives aux excréments, son labeur constitue une véritable purge, un curage de facto bénéfique au bon fonctionnement des égouts vétustes.





[Calcutta, Inde] Pendant que ses frères aînés remontent des litres de boue, Imran, 7 ans, reste à proximité de son père, ici en arrière-plan. C'est lui qui lui appris à manier la batée afin de diluer la boue, écarter les plus particules les plus légères, et concentrer les poussières d'or. « Mes trois fils et moi produisons ainsi 100 à 150 milligrammes d'or par jour, ce qui représente 200 à 400 roupies », explique le père de famille.


[Dhaka, Bangladesh] Un orpailleur s'applique à concentrer les particules les plus lourdes en tournant sa batée. Entre ses bras, l'eau tourbillonne et les boues sont progressivement évacuées. L'or est certainement là, au milieu de la batée, mais il en faut plus. Alors il remplit des seaux de boue, encore et encore. Derrière-lui, un vendeur ambulant fait la tournée des échoppes pour servir des petits-déjeuners.
[Dhaka, Bangladesh] Après 8 heures du matin, la rue devient trop fréquentée pour Razul et Robbi. Alors ils rapatrient leur matériel dans une sorte de lavoir de 10 m² dont la moitié est occupée par un bassin rempli d'eau noirâtre. C'est là qu'ils passent au crible les centaines de litres de boue qu'ils ont amassés depuis trois jours.





[Dhaka, Bangladesh] Le sable est passé au crible pour récupérer les plus gros éléments : gravillons, grenaille, microplastiques. Un gros aimant est ensuite remué dans le sable. Un moyen efficace de récupérer boulons d'acier, fils de fer… le tri se fera plus tard, on ne sait jamais.


[Dhaka, Bangladesh] Pour dissoudre les poussières métalliques sans valeur, Robbi verse de l'acide nitrique sur le sable. La réaction est immédiate : le mélange mousse bruyamment, laissant échapper une fumée jaunâtre et toxique. Après quelques minutes, l'acide est évacué du récipient.


[Dhaka, Bangladesh] [Dhaka, Bangladesh] Du nœud de son lungi, Razul sort un petit sac en plastique contenant un liquide argenté : du mercure. Quelques gouttes seront versées sur le sable aurifère qui, après avoir été agité, contient désormais une petite boule semblable à du plomb. C'est l'amalgame or-mercure.


[Dhaka, Bangladesh] L'amalgame or-mercure est déposé dans un creuset en terre cuite, lui-même logé sur un brasier. Robbi souffle sur les braises pour accélérer l'évaporation du mercure, un geste imprudent pour celui qui ignore que l'essentiel du mercure inhalé passe dans les poumons et le sang.


[Dhaka, Bangladesh] Sous l'effet de la chaleur, le mercure s'est évaporé, faisant place à de l'or pur, ou presque. Il ne reste plus qu'à briser le creuset en terre cuite pour récupérer la pépite.


[Dhaka, Bangladesh] Razul observe la pépite d'or tâchée d'impuretés, le fruit de trois jours de travail à deux. Il lui aura fallu remuer près d'une demi-tonne d'excréments pour l'obtenir.
[Dhaka, Bangladesh] Razul prend l'argent qu'un négociant vient de lui échanger contre son or. Pour en connaître la valeur, l'acquéreur a préalablement frotté la pépite sur une « pierre de touche » où il a soumis plusieurs réactifs. La pépite pèse 1 ana et 25 roti (soit 3,8 grammes), ce qui vaut alors 2 150 takas sur le marché (environ 18 euros). Le fruit de trois jours de travail pour deux orpailleurs.





[Dhaka, Bangladesh] Les joailliers les plus démunis, notamment les jeunes, dorment dans leurs ateliers, au milieu des bouteilles de gaz et des bidons d'acides. Ils s'enferment pour éviter d'être volés pendant la nuit. Mais quand la chaleur devient insupportable, ils préfèrent dormir sur le toit de l'immeuble.


[Dhaka, Bangladesh] Vendredi, 9 heures du matin. D'une citerne enterrée au rez-de-chaussée d'un immeuble, des hommes se lavent à l'eau fraîche et claire. En ce jour férié pour les musulmans, la ville tarde à se réveiller. Les chercheurs d'or qui ont fini leur journée croisent les artisans joailliers qui se lèvent à peine.


[Calcutta, Inde] Le quartier de Sonapatti fourmille de joailleries où l'or est fondu, martelé et ajusté. Mais tant qu'il n'y aura pas de filtres avant le tout-à-l'égout, les plus démunis seront toujours prêts à aller rechercher la poussière d'or. À moins que ce ne soit l'inverse.


[Dhaka, Bangladesh] À Shakhari Bazar se concentrent une ribambelle de bijouteries derrière lesquelles on trouve d'autant plus d'ateliers. À l'intérieur, sur plusieurs étages, une myriade d'artisans travaillent l'or, l'argent et les pierres précieuses à la lueur de néons capricieux.


[Dhaka, Bangladesh] Les joaillers ont des gestes précis, mécaniques. Les uns brasent, recuisent, trempent, laminent… les autres martèlent, cisèlent, polissent… forcément, quelques poussières s'envolent. Et quelle poussière ! Elle est presque invisible à l'œil nu, mais c'est de l'or.


[Dhaka, Bangladesh] Au Bangladesh comme en Inde, la joaillerie se porte bien, notamment grâce à la dot. Malgré son interdiction, cette coutume perdure dans tous les milieux sociaux. Ainsi, la famille de la future mariée se doit d'offrir des cadeaux aux parents du fiancé.
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LES PHOTOGRAPHES  ZEPPELIN
Géographes et photojournalistes, Bruno VALENTIN et Julien PANNETIER ont fondé ZEPPELIN en 2008. Ils voyagent pour comprendre comment les Hommes gèrent et utilisent l'espace. Ils travaillent main dans la main pour réaliser des reportages et les proposer à la presse française et internationale. Du golfe du Bengale à l'aiguille du Midi, des moines de la Grande Chartreuse aux officiers de la Marine nationale, ils signent toutes leurs images ZEPPELIN.