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SOUS LE MASQUE DES BORUCAS
BORUCA, PUNTARENAS, COSTA RICA © VINCENT ESCHMANN / AGENCE ZEPPELIN
Dans la jungle de la cordillère Brunqueña, la Harpie féroce dévisage ses admirateurs. Censé avoir disparu du Costa Rica, cet aigle représente ici l'esprit d'un guerrier. La bête curieuse est incarnée par un jeune Amérindien qui rejoint la Fiesta de los Diablitos pour célébrer la mémoire de ses ancêtres. Au XVIème siècle, le peuple indigène des Borucas a su repousser la puissance de feu des conquistadors, avant d'être finalement converti par l'Église catholique. Aujourd'hui, leurs enfants regagnent leur culture animiste dans un contexte plus globalisé que jamais. Chaque année, du 31 décembre au 2 janvier, ils revêtent des costumes végétaux et des masques colorés pour manifester leur identité précolombienne.
Située dans le sud-ouest du Costa Rica, la cordillère Brunqueña est habitée par les Indiens borucas. Alors que leurs ancêtres vivaient principalement de chasse et de pêche, ces tribus de guerriers nomades se sont progressivement sédentarisées pour développer l'agriculture et l'élevage. Aujourd'hui, malgré des lois censées garantir aux populations autochtones du Costa Rica la propriété de leurs terres, les expropriations sont fréquentes sur le territoire des Borucas.





Au soir du 29 décembre, dans le secret et l'intimité de la jungle, une partie des habitants de Boruca se réunissent pour raconter l'histoire de leurs ancêtres. À minuit sonne un gong pour symboliser la renaissance des guerriers : c'est le début de trois jours de festivités. Déguisés en Diablitos, ils quittent la forêt pour chasser les mauvais esprits du village.


Un membre de la tribu des Borucas pose avec un masque figurant une harpie féroce – un aigle aujourd'hui éteint au Costa Rica – lors de la célébration annuelle des Diablitos. Pour l'ensemble de la communauté boruca, les masques sont une incarnation vivante du panthéon des déités précolombiennes, puisant leur inspiration dans la nature environnante.


Melvin González Rojas marche en costume traditionnel lors de la Fiesta de los Diablitos. En tant que représentant des anciens du village, il occupe la fonction de chef spirituel lors des cérémonies des Diablitos. Il veille ainsi au bon déroulement des festivités et au respect et à la transmission des traditions aux jeunes hommes. Des musiciens ouvrent la marche pour annoncer la venue du cortège.


Les Indiens borucas dansent en costumes masqués devant l'église du village à l'occasion de la Fiesta de los Diablitos. Pendant trois jours, les anciennes traditions animistes se confondent avec les nouvelles croyances catholiques. La conge, au son mystique, est accompagnée de flûtes et de tambours. Ces instruments traditionnels étaient déjà confectionnés et utilisés par leurs ancêtres lors de cérémonies.


Combat théâtral entre le taureau, figure de l'envahisseur espagnol, et les Diablitos qui symbolisent les esprits protecteurs des Borucas. Tour à tour, chaque guerrier doit se mesurer au taureau pour prouver son courage.


Les masques contemporains sont plus spectaculaires que les anciens avec l'emploi de pigments très colorés. Avec le développement de l'artisanat, l'esthétisme des masques remplace progressivement leur charge symbolique.
Le taureau, figure du conquistador, est capturé avec des chaînes afin d'être conduit au bûcher. Cette mise en scène constitue un souvenir de résistance et de fierté pour les Borucas. Alors que la majeure partie des tribus indigènes ont été décimées ou réduites en esclavage pendant la conquête espagnole, les Borucas résisteront avec force et tireront avantage de leur environnement isolé. Bon nombre de leurs traditions orales se sont perdues, mais celle-ci demeure car leur combat identitaire se poursuit aujourd'hui.





Les processions sont plus musicales et festives la nuit. Alors que les Diablitos interprètent les combats devant les maisons, les propriétaires les remercient le plus souvent avec de la chicha fraîche.


Le soir du 2 janvier, dernier jour de la Fiesta de los Diablitos, le costume du taureau, figure de l'oppression des conquistadors, est brûlé dans une euphorie musicale à la gloire du peuple boruca.
Dernières lueurs du jour à Boruca, un village autochtone posé à 500 mètres d'altitude au milieu de la jungle luxuriante de la cordillère Brunqueña dans le sud-ouest du Costa Rica. En 1945, le village de Boruca était constitué de 47 maisons rudimentaires où vivaient 334 habitants sur un total de 641 que comptait la réserve. Le recensement actuel porte à 2500 le nombre d'Indiens borucas pour un total de 63 000 autochtones au Costa Rica. La majeure partie de cette population se répartit dans les territoires autonomes et seulement 20 % des Indiens vivent en dehors.





Erundina, 74 ans, veuve depuis plusieurs années, est assise devant sa maison de Boruca. Elle est la grand-mère de Santiago Leiva Morales. Avec la disparition des anciennes générations, la transmission orale est une gageüre pour l'avenir de la communauté. Mais Erundina n'a elle-même que peu de souvenirs de son enfance à Boruca et, faute de pratique, ne parle plus le dialecte Brunka. Les mesures prises par la communauté, dont l'enseignement du brunka à l'école, ont donné un sursis à cette culture amérindienne. Aujourd'hui, les jeunes générations, comme son petit-fils Santiago, connaissent mieux le dialecte et les traditions que leurs propres parents.


Melvin González Rojas pose devant des trophées de chasses et masques en bois, dans la pièce principale de sa maison à Boruca. Il est le fils du dernier cacique (chef traditionnel) de Boruca, Ismael González Lázaro (1928-2014) qui, à la fin du XXème siècle, sauva la culture boruca de l'oubli. Melvin continue le travail de son père en travaillant conjointement avec le Gouvernement du Costa Rica pour faire reconnaître leur savoir-faire et préserver leur identité. Dès l'âge de 12 ans, il a appris aux côtés de Don Ismael les techniques de fabrication des masques en bois. Il regrette aujourd'hui la tournure, qu'il juge trop commerciale, que prend l'artisanat dans sa communauté. Il a également remarqué, ces dernières années, l'arrivée de masques de contrefaçon en plastique sur les marchés de la capitale San José.


Carlos et Louisa Leiva Morales, agriculteurs et parents de Santiago, posent devant leur maison sur les hauteurs de Boruca. La famille, comme le reste de la communauté, possède ses propres terres pour assurer son auto-suffisance alimentaire. Les excédents agricoles sont vendus sur les marchés environnants, constituant une maigre source de revenu. Le mode de vie de Carlos et Louisa a beaucoup changé depuis leur enfance. Comme beaucoup d'autres dans la communauté boruca, ils s'adaptent difficilement au nouveau modèle de vie qui s'impose et cela nécessite de trouver de nouvelles ressources financières. Mais les difficultés économiques du pays et le taux d'alphabétisation des populations autochtones très inférieur à la moyenne nationale engendrent une précarité chez ces populations et le recours à une aide de l'État de 100 dollars par mois.


Steven, 15 ans, et son ami, dans un atelier artisanal du village de Boruca. L'un avec un smartphone et l'autre portant un masque en bois. Avec Internet et les nouvelles technologies, Steven découvre de nouvelles perspectives hors de la communauté et rêve d'une vie citadine. Mais le manque d'éducation supérieure des populations autochtones, pour raison financière, est discriminant sur le marché de l'emploi. La conséquence est un taux de chômage beaucoup plus élevé pour les groupes ethniques que pour le reste de la population du Costa Rica. Aujourd'hui, seulement 20 % de la population autochtone du Costa Rica vit en dehors de leurs territoires, mais Steven continue de rêver à la vie moderne qu'il voit sur Internet.
Gabriel Barios Taleno, confectionne un masque en bois à l'arrière de sa maison de Boruca durant la Fiesta de los Diablitos. Avant cette vie communautaire avec sa femme Noemy et ses trois enfants, Fabien, Julien et Mathéo, Gabriel était agent de sécurité dans une banque de San José. C'est à cette époque qu'il rencontra Noemy pour décider quelques années plus tard de revenir vivre en famille à Boruca. Bien que de confession catholique, Gabriel partage un peu la culture des Borucas qui reste pour lui un folklore. À côté de son activité agricole, Gabriel confectionne quelques masques traditionnels borucas et les vend à travers le réseau de La Asociación de Flor, une association de développement communautaire, dont sa femme Noemy fait partie.





Steve, 19 ans, confectionne un masque dans l'atelier familial à l'entrée du village de Boruca. Le morceau de bois qu'il travaille donnera, après plusieurs jours, un masque traditionnel aux Indiens borucas. Le balsa, essence tendre et facile à sculpter, ainsi que le cèdre, plus dense, se trouvent sans difficulté dans les environs du village et sont utilisés pour la fabrication des masques. Steve travaille aux côtés de ses oncles et cousins, Joel et Santiago, pour reproduire leur savoir-faire et apprendre un peu de la culture de son peuple.


Santiago Leiva Moralez, 24 ans, vient de réaliser un masque au symbole traditionnel. Il avait 14 ans quand son oncle lui a enseigné la sculpture sur bois. Il est aujourd'hui l'un des artisans les plus raffinés de la communauté et ses masques se vendent très bien dans les grands hôtels du pays. Ses revenus lui permettent de venir en aide à ses parents agriculteurs et de mettre un peu d'argent de côté pour de grandes études et une future carrière. Malgré un fort attachement à leur culture, Santiago et les jeunes de son âge rêvent de quitter le village.


La ministre de la Culture et de la jeunesse, Sylvie Durán Salvatierra, remet un Prix culturel à un représentant des Borucas. Cette distinction inscrit la tradition du Cabrú Rojc, connue comme « la Fiesta de los Diablitos », au rang de Patrimoine immatériel national, récompensant ainsi le travail de la communauté pour son travail de mémoire et la sauvegarde de son identité. Depuis les années 1980, les gouvernements progressistes du Costa Rica tentent de protéger les 8 tribus autochtones du territoire national.


Hugo Morales Delgado porte un masque boruca devant sa télévision. Aujourd'hui, sa communauté vit dans un équilibre fragile entre tradition et modernité. Cette acculturation, commencée au XVIème siècle au contact des conquistadors et de l'Église catholique, s'est considérablement accélérée dans les années 1960 avec la construction de la Panaméricaine qui a rompu l'isolement géographique du village. L'arrivée récente de la télévision et d'internet accélère cette assimilation au reste de la société moderne.


Mateo, 8 ans, se déguise pour s'amuser avec un masque de jaguar. Il suit sa scolarité à l'école du village où, en complément du programme général national, deux jours par semaine sont consacrés à la culture de son peuple.


Erika prend la pose avec des touristes devant la boutique artisanale, Croquiconaht Taller, de son oncle. La vente d'artisanat représente près de 80 % des revenus de la communauté selon le guide costaricien Keyler Valverde Durán.


Dans la famille de Noemy et Gabriel Leiva Lazaro, les anciennes et nouvelles croyances se côtoient sur la table du salon. Les Borucas croyaient en un dieu nommé Sibu, ainsi qu'à un panthéon d'esprits inspirés de la nature. Cette symbolique païenne est encore présente aujourd'hui dans le quotidien des Borucas malgré leur conversion forcée à de nouvelles croyances par l'Église catholique.


Initiés par les anciens, les jeunes hommes ne sont pas autorisés à participer à la Fiesta de los Diablitos avant leur adolescence. En attendant, ils apprennent les traditions et la langue brunka au sein de l'école du village. Parmi les 8 familles de la communauté de 2500 habitants que compte Boruca, cette nouvelle génération devra relever de nombreux défis pour sauvegarder son identité.
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LE PHOTOGRAPHE VINCENT ESCHMANN
Photographe professionnel, Vincent témoigne de la richesse culturelle de notre monde. Il rapporte des histoires contemporaines avec l'espoir de sensibiliser aux enjeux identitaires auxquels sont confrontés de nombreux peuples. Né à Strasbourg, Vincent est passionné de voyages depuis son plus jeune âge, mais ses pérégrinations ont pris une autre intensité avec la photographie documentaire. Empreints de curiosité et de respect, ses sujets le guident aujourd'hui dans de nombreux pays à la rencontre de communautés et de leur histoire.