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CANAL DU MIDI : LA VOIE ENCHANTEE LANGUEDOC-ROUSSILLON-MIDI-PYRENEES, FRANCE © LUCAS SANTUCCI / AGENCE ZEPPELIN
Construit il y a 350 ans pour relier l'Atlantique à la Méditerranée, le canal du Midi était révolutionnaire pour l'époque de Louis XIV. Aujourd'hui, les touristes ont pris le relais des marchandises, mais l'ouvrage n'en demeure pas moins précieux. Classé monument historique par l'UNESCO, le canal est soigneusement entretenu pendant l'hiver. Des techniciens doivent notamment faire face à l'invasion d'un champignon détruisant les fameux platanes. Mais tous ne veulent pas muséifier le canal : quelques uns proposent de redévelopper le transport fluvial, une façon plus écologique d'acheminer le fret. Le canal du Midi ne le mérite-il pas ?
Un trait d'union entre deux mers

Il y a maintenant 350 ans, Louis XIV lance officiellement le projet du Canal royal du Languedoc (rebaptisé « canal du Midi » à la Révolution) reliant l'Océan Atlantique à la Méditerranée. Dans un premier temps, celui-ci part de Sète rejoignant Toulouse et la Garonne. Le fleuve, alors navigable, mène les péniches jusqu'à Bordeaux et l'océan. Réalisée par l'ingénieur-entrepreneur Pierre-Paul Riquet, cette voie de transport est révolutionnaire pour l'époque, permettant le transport de marchandises en grande quantité et améliorant le confort des voyageurs habitués aux routes cabossées du XVIIe siècle. En 1838, le Canal latéral à la Garonne est construit pour faire face aux crues répétitives du fleuve bloquant la navigation. L'ensemble des canaux reliant Sète à Bordeaux est nommé le « canal des Deux Mers ».

Des visiteurs du monde entier

Depuis 25 ans, le tourisme est la principale activité sur le canal. En 1996, il est classé comme monument historique à l'UNESCO et depuis des touristes du monde entier viennent admirer les écluses centenaires et se détendent en écoutant le chant des cigales au fil de l'eau. Anglais, Allemand, Hollandais et même Japonais ou Chinois arpentent les rives ombragées à pied, à vélo ou en péniches. Toute l'économie autour du canal se développe pendant les cinq mois de la saison d'été. Hôtels, restaurants, locations de bateau, épiceries flottantes, péniches hôtel, sont à pied d'œuvre pour recevoir plus de 1,5 million de visiteurs chaque année.

Le canal au chômage

Tous les hivers, lorsque les touristes ont quitté le sud de la France, le trafic est coupé sur le canal des Deux Mers. Cette période réservée aux travaux d'entretien du canal est appelée « les chômages ». Les Voies Navigables de France (VNF), l'établissement public responsable du canal, est garant de ces travaux de grande ampleur. Certaines parties sont mises à sec pour réparer les berges. Les écluses sont elles aussi minutieusement révisées et régulièrement modernisées pour faciliter le travail des éclusiers.

Depuis l'abandon du transport de marchandises au profit du tourisme, le canal n'est plus entretenu par le passage des péniches chargées à ras bord et s'envase plus vite qu'auparavant. Une équipe des VNF est affectée à l'année aux opérations de curage et drague quelques dizaines de kilomètres par an. Contrairement à ce que l'on pense, il n'y a pas que de la vase dans le canal. Chaque semaine ils remontent plusieurs dizaines de kilos de déchets : vélos, barrières, pneus, panneaux routiers, etc. Il leur arrive parfois de retrouver une remorque ou une voiture…

Les ravages d'un champignon

Lorsque l'on évoque le canal du Midi, personne ne peut l'imaginer autrement qu'avec ses platanes formant une voute majestueuse. Malheureusement un champignon, le chancre coloré, s'attaque à ces arbres. À l'heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de lutter contre cette maladie qui aurait été apportée par les combattants alliés lors du débarquement de Provence. Depuis la maladie se propage vers l'ouest sans que l'on puisse l'empêcher. Les VNF ont lancé un grand programme sur 20 ans pour remplacer les platanes malades. Sur les 40 000 platanes présents au bord de l'eau, 14 000 ont été coupés et 4 000 replantés. Le montant de cette opération s'élève à plus de 200 millions d'euros. Les VNF et les collectivités locales financent une partie du projet, mais c'est insuffisant. Un grand financement participatif a été lancé et les particuliers peuvent maintenant aider financièrement à replanter les arbres qui donnent tant de charme à ce canal.

Samuel Vannier, historien et responsable des archives du canal, nous rappel qu'à l'origine les arbres plantés sur les berges étaient exploités : l'olivier pour l'huile, l'orme pour les meubles ou le mûrier pour les vers à soie. En 1860, l'orme, la principale essence plantée sur les rives, est ravagée par la graphiose. Le platane, très utilisé pour la menuiserie ou le bois de chauffage à l'époque, est planté sur une grande partie des berges pour le remplacer. Son exploitation ne devenant plus rentable, il devient l'ornement emblématique que l'on connait. Aujourd'hui, les arbres replantés sont de différentes essences pour éviter une troisième contamination généralisée, mais ils ont été sélectionnés pour reproduire la voûte des platanes, car il est impératif de préserver l'image classée au patrimoine mondial de l'UNESCO il y a tout juste 20 ans.

Un chantier quasi secret

En plein centre de Toulouse mais inconnu des Toulousains, se trouvent les cales de radoub, un véritable chantier naval datant de 1831. Aujourd'hui classé monument historique, ce site est caché derrière de hauts murs en pierres. C'est la zone de réparation des péniches, mais aussi la base technique des VNF. Chaque année, des dizaines de péniches viennent se refaire une beauté dans ces cales. Parmi les trois bassins que compte le chantier, un seul est couvert à partir du XIXe siècle par une halle en brique rouge ouverte par des arches avec une charpente exceptionnelle en forme de coque retournée. Chaque année, les élèves de l'Ecole d'architecture de Toulouse viennent admirer ce travail déjà centenaire.

Le renouveau du fret : un transport écologique

Jean-Marc Samuel vit depuis des années sur le canal. Pendant 20 ans, il fut menuisier itinérant à bord de sa péniche, réalisant des travaux le long du canal. Depuis 10 ans, il remet au goût du jour le transport de fret sur la voie d'eau. Cette activité, éteinte depuis quelques années, fut à son apogée il y a seulement 45 ans détrônée par la voie ferrée et les camions. Mais Jean-Marc n'en démord pas : « Le futur du canal doit se reconstruire avec ce transport écologique, 40 fois moins polluant que la route. » Or, si les débouchés existent, les infrastructures manquent. La France est le pays européen disposant le plus de canaux, mais sans volonté nationale ou régionale, il est difficile d'encourager les investisseurs.

En attendant, Jean-Marc prouve que cette activité est possible. En 2014, il réalise un premier voyage test sur le canal des Deux Mers pour simuler un transport de colis lourds (160 tonnes) avec succès. En 2015, il charge une péniche, de produits locaux et monte jusqu'à Paris pour défendre son mode de transport lors de la COP21. En 2016, il charge pour la première fois sa péniche, le Tourmente, de cartons compactés qu'il apporte directement à l'usine de recyclage. Ce chargement rentable et écologique est le début d'un renouveau pour le canal.











LE PHOTOGRAPHE LUCAS SANTUCCI
D'abord ingénieur agronome, puis photojournaliste, Lucas a intégré l'équipe d'Under The Pole comme responsable logistique et partenariat. Il a embarqué pour 18 mois d'expédition au Groenland dans la promiscuité d'un voilier où il s'est affirmé comme photographe terrestre sous-marin. Depuis lors, il multiplie les reportages sous toutes les latitudes.