REPORTAGES PUBLICATIONS CONTACT
SETJAIMENGAOU TÊTE-À-TÊTE AVEC UNE MOMIE
PARIS, VERSAILLES & AMIENS, FRANCE © ANTOINE MERLET / AGENCE ZEPPELIN
On croirait qu'elle nous regarde, qu'elle nous écoute. Restaurée en 2023 par le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), la momie égyptienne de Setjaimengaou n'en finit pas d'interroger ses admirateurs. Acquise en 1839 par la Société des antiquaires de Picardie et la Ville d'Amiens, et conservée depuis au Musée de Picardie, cette dépouille est celle d'une femme décédée vers 664 av. J-C, probablement issue de la nécropole thébaine (25ème dynastie). Préservée de la putréfaction, elle n'en demeure pas moins fragilisée par le poids des années. Charge aux restaurateurs contemporains d'employer leurs savoir-faire afin de mieux l'admirer et la respecter pour les siècles à venir.
[Versailles, France] Patricia Dal Prá, restauratrice du patrimoine spécialisée dans le textile, prend du recul sur les interventions qu'elle vient d'effectuer sur la momie de Setjaimengaou. Si chaque intervention doit être réversible, elle est néanmoins assujettie à la fragilité des textiles et des tissus organiques.





[Versailles, France] Noëlle Timbart, conservatrice du patrimoine chargée de la restauration des antiquités égyptiennes au C2RMF, observe des textes inscrits sur le couvercle du cercueil interne de Setjaimengaou, au niveau des chevilles. Ils ont été remis au jour grâce à la restauration et au déchiffrement. Ailleurs, sur le couvercle du cercueil externe, des hiéroglyphes indiquent la filiation de la défunte : « Setjaimengaou, fille d'Horsaiset, juste de voix et dont la mère est Taânetenpamer ».


[Versailles, France] Partie supérieure du couvercle du cercueil externe de Setjaimengaou. La tête est coiffée d'une perruque longue constituée de bandes colorées et le front est ceint d'un bandeau de pétales stylisés. Autour du cou et sur la poitrine deux colliers sont superposés. Du vernis antique a été appliqué de façon irrégulière sur les colliers. Les lacunes laissent percevoir la technique de fabrication du cercueil : le bois recouvert d'une toile sur laquelle la couche de préparation a été appliquée avant la polychromie.


[Versailles, France] Corps et bandelettes sont intimement unis. Cette dimension composite des momies égyptiennes nécessite la mise en commun de deux expertises, l'une sur les textiles archéologiques, l'autre sur les restes organiques. Ici, les mains de Setjaimengaou, d'une finesse remarquable, reposent sur le haut de ses cuisses. Chaque doigt a été entouré avec le plus grand soin par une toile de lin très fine. « C'est une partie du corps particulièrement évocatrice qui participe à la prise de conscience qu'on a affaire à un individu », témoigne Laure Cadot, restauratrice. « Placer sa propre main à côté de celle d'une momie est toujours une expérience troublante. »


[Versailles, France] Une crêpeline (voile de soie transparent) teinte par la restauratrice a été posée sous la déchirure de la bandelette située sur le crâne de Setjaimengaou. Elle est maintenue par des « points de restauration » (points lancés maintenus par des brides, utilisés en conservation-restauration des textiles). L'organsin (fil de soie), est teint de la même couleur que la toile de lin des bandelettes. Il est passé à l'aide d'une aiguille chirurgicale courbe très fine car l'emploi d'une aiguille droite endommagerait les fibres textiles. Il est d'ailleurs impossible de coudre avec des gants car le restaurateur doit sentir la solidité de la toile de lin de chaque bandelette.
HAUTE COUTURE POUR UNE VIEILLE DAME
[Versailles, France] Les ateliers du C2RMF offrent un espace et des équipements adaptés au traitement d'ensembles funéraires comme celui de Setjaimengaou. C'est là qu'une équipe pluridisciplinaire de neuf restaurateurs s'est relayée pendant deux mois pour traiter les textiles et tissus organiques de la momie (ici à gauche) ainsi que les supports en bois et les couches picturales des deux cercueils initialement emboîtés (à droite).





[Versailles, France] La momie de Setjaimengaou a souffert de son débandelettage réalisé à son arrivée en France en 1839. Cette pratique, courante au XIXème siècle pour mettre au jour les amulettes et autres trésors supposés dissimulés dans les bandelettes, a endommagé les extrémités du corps. Les pieds, maintenus pendant des siècles par leur gangue de textile, ont particulièrement pâti de ces manipulations brutales ainsi que de leur exposition à l'air et à la lumière qui ont accéléré leur dislocation.


[Versailles, France] Teinte spécialement, la fine toile de coton a été introduite sous les bandelettes du pied. Elle sert d'assise aux points de couture effectués avec un fil de soie très fin teint de couleur assortie. L'excédent de toile sera par la suite découpé tout en prenant soin de laisser une marge qui viendra se placer sous le reste de la bandelette en place sur le pied. Une couverture de crêpeline viendra enfin consolider l'ensemble. Cette opération nécessitera un travail en commun des restauratrices. L'intervention est totalement réversible.


[Versailles, France] Les points de consolidation sont réalisés par des doublages au papier japon encollé avec un adhésif en faible quantité. « Une des gageures du métier consiste à réaliser des interventions suffisamment solides pour maintenir les éléments affaiblis, mais toujours moins résistantes que le matériau traité », explique Laure Cadot, restauratrice en charge de la momie. « Une restauration réussie doit, en cas de tension ou de choc, lâcher avant la matière originelle. » Tous les matériaux et produits employés doivent répondre à des critères de stabilité chimique, d'innocuité et de réversibilité dans le temps.


[Versailles, France] Laure Cadot teste le positionnement des pieds et des bandelettes. « C'est assez rare de travailler sans gant sur des momies, mais l'appréciation des textiles ne peut se passer du toucher. Cela permet de ressentir la rigidité et le niveau de résistance. Notre ouïe permet également d'apprécier la présence de cavités, ou simplement d'identifier certains matériaux par leur résonance. L'odorat entre aussi en jeu, particulièrement pour les momies, dont les baumes souvent constitués de résines végétales ou de cire, dégagent encore leurs odeurs si caractéristiques des siècles plus tard ! », témoigne la restauratrice.
DES ANALYSES AU PEIGNE FIN
[Versailles, France] Pour son étude de l'ensemble funéraire, le C2RMF a initié diverses analyses de morceaux de bois, de fibres textiles, de fragments organiques, de moisissures, d'insectes, et même d'un œil. Ici, un échantillon de matière noire a été prélevé sur un textile situé au pied de la cuve interne. Avant de l'identifier par chromatographie, Louise Chassouant, docteur en chimie analytique, doit solubiliser cet échantillon à l'aide de solvants organiques. Ces solvants sont manipulés avec des seringues de très faibles volumes car le prélèvement sur l'œuvre ne représente que quelques microgrammes de matière.





[Paris, France] Prélevé sur la main droite de la momie de Setjaimengaou, un échantillon est déposé sur une lame de verre afin d'être observé sous loupe binoculaire. « L'échantillon ne doit surtout pas être touché avec les doigts pour ne pas polluer les analyses de composition organique avec des molécules présentes sur notre corps », informe la scientifique.


[Paris, France] Louise Chassouant, docteur en chimie analytique, observe un échantillon avec un microscope optique sous lumière visible : « Ici, la coloration marron clair nous permet d'émettre des hypothèses quant à la potentielle présence d'un vernis, mais la composition de l'échantillon sera déterminée par l'analyse chromatographique ».


[Paris, France] Le C2RMF conserve des centaines de produits de référence venant du monde entier. Cette « matériauthèque » détermine certaines molécules comme autant de « marqueurs » afin de reconnaître sur les œuvres la présence de matières naturelles telles que les résines végétales, les huiles, la cire d'abeille ou encore les essences naturelles. Ici, Louise Chassouant, manipule du copal de Manille, une ambre prélevée sur différentes espèces d'agathis et notamment utilisée dans la fabrication de vernis et de supports à peindre.


[Paris, France] Louise Chassouant injecte un échantillon dans le chromatographe en phase gazeuse. À l'intérieur, la température vaporise rapidement les molécules qui se séparent les unes des autres. Plus tard, grâce au spectromètre de masse, la scientifique identifiera « un goudron végétal de la famille des Pinacées, oxydé et n'ayant pas été chauffé à très haute température, ainsi d'une résine de Pistachier lentisque, plus connue sous le nom de mastic. « Ces deux résines étaient couramment utilisées pour vernir les surfaces à cette époque », précise-t-elle.
UNE VEDETTE À L'HÔPITAL
[Amiens, France] La momie de Setjaimengaou arrive au service des urgences vitales du CHU d'Amiens-Picardie pour y passer un scanner. Elle est transportée dans une boîte conçue à sa mesure et protégée dans une enveloppe isotherme.





[Amiens, France] La momie de Setjaimengaou est positionnée dans le scanner Revolution EVO. Un centrage lumineux est d'abord réalisé, visible ici par les traits rouges. L'examen aux rayons X permet de visualiser précisément l'intérieur du corps, et ce, sans recourir à une chirurgie invasive.


[Amiens, France] Kevin Riquet, manipulateur radio, et Dr Thierry Yzet, chef du pôle imagerie médicale du CHU d'Amiens-Picardie, regardent, étonnés, la momie de Setjaimengaou positionnée dans le tunnel du scanner. Une « patiente » extraordinaire décédée il y a quelque 2687 ans.


[Amiens, France] Radiographie de la tête de Setjaimengaou réalisée en 1994 par le Dr Gilles Boulu au CHU d'Amiens. La momie a été radiographiée dans sa boîte moderne en bois, dont on distingue les clous alignés, afin de comprendre son état de conservation. L'étude des dents a permis d'estimer son âge à environ 40 ans. « Mais on a avancé une fourchette très large car en 1994, le centrage et la qualité des radiographies ne nous avaient pas permis une appréciation correcte de leur morphologie », tempère le docteur Boulu.


[Amiens, France] Cette série d'images a permis aux restaurateurs d'anticiper son extraction et de préparer les actions à conduire sur le corps. « Ici, au niveau du thorax, la cavité apparaît remplie d'une structure opaque hétérogène plus ou moins granuleuse », observe le Dr Gilles Boulu. Par ailleurs, la mesure des os longs sur les radiographies a permis d'estimer la taille de l'individu à 1,57 m. Cette stature était moins importante qu'elle n'y paraît aujourd'hui car le buste a subi une élongation post mortem, suite à l'effondrement des vertèbres.
LES DERNIERS SECRETS D'UNE PATIENTE
[Amiens, France] Réalisation du scanner de la momie de Setjaimengaou dans le service d'imagerie médicale du CHU d'Amiens-Picardie. Dr Gilles Boulu, radiologue (à droite), et Kevin Riquet, manipulateur radio (à gauche), observent la reconstruction en « rendu de volume » (3D) de son corps. 29 ans après sa première scanographie, les nouvelles technologies offrent une lecture bien plus fine des altérations osseuses, mais aussi une lecture préférentielle de différents constituants. Ainsi, ce nouveau scanner devrait permettre de mieux comprendre les masses présentes dans sa cage thoracique. S'agit-il de morceaux de textile ou de viscères momifiés ?





[Amiens, France] Endoscopie réalisée par le professeur Bernard Devauchelle, chef du service de chirurgie maxillo-faciale du CHU d'Amiens-Picardie. Ainsi a-t-il pu observer l'intérieur du crâne et noter la disparition du palais. L'embaumement a nécessité l'ablation du cerveau par le nez, tel qu'il était habituellement pratiqué, et cela a provoqué divers dommages dont l'effondrement de la cloison nasale.


[Amiens, France] Endoscopie rigide des cavités naso-sinusiennes de la momie. Cette voie a été utilisée pour effectuer quelques prélèvements des matières blanches observables dans la cavité crânienne, d'un fil rouge trouvé dans la zone, des matières pulvérulentes à l'intérieur de la bouche et enfin effectuer des analyses ADN grâce à un fragment d'os mobile qu'il a été possible de prélever.
VOIR TOUTES LES IMAGES
LE PHOTOGRAPHE ANTOINE MERLET
Photoreporter indépendant, Antoine travaille pour la presse régionale et nationale. Après avoir donné des cours de sport pendant cinq ans, il s'est engagé dans le journalisme, orientant ses travaux vers les luttes sociales. Il aime prendre le temps de comprendre un sujet avant de s'y engouffrer. Exposé aux Rencontres d'Arles en 2017, à la Galerie VU' en 2020, et projeté au festival Visa pour l'image en 2021, il sait sortir de sa zone de confort pour travailler avec des rédactions comme M Le Monde, Télérama, Le Figaro, Libération, La Croix, ou encore Vice.