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LA CLINIQUE DES PHOQUES
PORTSALL + BREST, FRANCE  •  PHOTOS © ZEPPELIN
Les phoques ne sont pas rares en France, mais les jeunes qui s'échouent chaque hiver reviennent de loin. Âgés de deux mois environ, ils ont péniblement lutté dans les tempêtes avant d'être dispersés le ventre vide. Épuisés, blessés ou malades, ils se mettent à l'abri pour prendre un peu de repos. Tous ne survivront pas, c'est pourquoi Océanopolis, l'aquarium de Brest intervient. Mais avec ces bébés-là, mieux vaut prendre des gants ! Les soigneurs recueillent les phoques pour les requinquer pendant quelques semaines avant de les relâcher en mer.
Naufragés de l'hiver

Les tempêtes qui s'abattent durant l'hiver sur la façade atlantique, et en particulier en Bretagne, marquent tous les esprits. Les animaux marins eux aussi sont éprouvés par ces intempéries. C'est le cas des jeunes phoques qui se retrouvent blessés et égarés par centaines. Nés à la fin de l'automne, mais sevrés au bout de trois semaines, ils sont brutalement livrés à eux-mêmes. Malmenés par les vagues et les courants, ils peuvent difficilement chasser et puisent donc dans leurs réserves de graisse. Épuisés, ils viennent se reposer sur une plage ou un rocher. Les plus affaiblis sont recueillis par les soigneurs d'Océanopolis, et régulièrement, « la clinique » affiche complet.

Mise en place à la fin des années 1990, la clinique des phoques répond à une situation saisonnière qui va de pair avec la protection des phoques sur les côtes françaises. L'espèce qui vit en Bretagne est le phoque gris, à ne confondre avec le phoque commun, ou « veau marin » que l'on observe plus au Nord, en baie de Somme notamment. Une colonie de phoques gris est installée sur l'archipel de Molène, mais ceux qui s'échouent en hiver pourraient tout aussi bien venir d'Irlande.

Toujours est-il qu'en 2014, jamais autant de phoques n'ont été recueillis sur une période aussi courte : vingt individus en trois semaines. C'est deux fois plus que la capacité optimale de la clinique, la seule structure du genre en Bretagne. « En 2013, nous avons accueilli 29 phoques répartis sur plusieurs mois. Mais là nous ne pouvons pas en accueillir plus de 20 simultanément pour des raisons techniques et sanitaires. Quelques centres de transit ont exceptionnellement pris le relais, mais nous avons dû demander de l'aide à un autre centre de soins en Normandie, » argumente Christine Dumas, chef des soigneurs-dresseurs de mammifères marins à Océanopolis. Alors que faire si l'on trouve un autre phoque aux allures de peluche ahurie ? « Il faut nous prévenir bien sûr ! Mais dans les conditions actuelles, mieux vaut le laisser dans son milieu naturel. Il ne faut pas le remettre à l'eau, cela le fatiguerait davantage. Surtout ne pas le toucher, car il pourrait mordre ou transmettre des maladies, » prévient la spécialiste qui a appris à s'en méfier.


Traitement de choc

À la clinique, les soigneurs ont mis en place une prophylaxie rigoureuse pour soigner les animaux. Il s'agit avant tout de ne pas transmettre les parasites et les maladies parmi les individus. Munis d'un équipement ciré-bottes exclusivement réservé à la clinique, les soigneurs traversent d'abord un pédiluve. À l'intérieur, les phoques sont isolés dans des boxes individuels. Les soigneurs utilisent autant de paires de gants et de balais qu'il y a d'individus. Le balai qui sert à l‘entretien d'un box s'avère très utile pour plaquer l'animal au moment de lui prendre les pattes arrière. Car aussi jeune soit-il, manipuler un phoque n'est pas sans danger. L'animal râle autant qu'il veut mordre, mais Patrick Le Menec, soigneur depuis quinze ans, a sa technique : « Pour immobiliser un phoque, il faut le laisser te mordre le pouce, car c'est par la mâchoire qu'on le maintient le mieux. Du coup, faut se protéger avec un tube de PVC. Ensuite on s'accroupit sur lui en serrant les genoux. C'est facile, mais faut pas se rater ! »

À son arrivée, un phoque en détresse est immédiatement réhydraté. Un tube au bout d'un entonnoir est glissé dans sa gorge pour y verser de l'eau douce. C'est l'occasion de faire un premier diagnostic : les silhouettes sont efflanquées, les mâchoires cassées, les pattes sont écorchées, les selles déliées, on trouve même des kystes… Les doutes seront confirmés plus tard en multipliant les tests : relevés de température, prises de sang, radiographies… En attendant, le phoque doit être nourri avec de la bouillie de poisson. Il s'agit de voir si son transit intestinal fonctionne correctement. Un tube muni d'un piston est à nouveau enfoncé dans la gorge du malheureux. Les traitements antibiotiques et le vermifuge s'ensuivent.

Chaque jour, les phoques et leurs rations sont pesés. Rapidement, les phoques sont nourris avec des poissons entiers (maquereaux, harengs, sprats). À raison de deux kilos de poisson par jour répartis en trois repas, il n'est pas rare de les voir prendre plus d'un kilo en 24 heures. Christine explique : « Les phoques qui arrivent ici pèsent entre 12 et 20 kg. C'est plus ou moins leur poids à la naissance (15 kg), mais faut savoir qu'ils ont été allaités pendant trois semaines, et que le lait maternel est tellement riche et gras qu'ils pesaient entre 40 et 50 kg au sevrage… leur graisse a littéralement fondu ! » S'ils se rétablissent, les phoques soignés dans les boxes iront rejoindre leurs congénères dans les bassins voisins. Une véritable piscine et trois petits bassins pour qu'ils gagnent en autonomie.


Urgence à Portsall

Le téléphone sonne. Un phoque a été aperçu sur les rochers à Portsall. L'animal avait déjà été signalé il y a une semaine, c'est dire s'il est mal en point. Christine répète ses instructions : « Ne l'approchez pas ! Il ne faudrait pas qu'il retourne à la mer… » L'air grave, elle se tourne vers Patrick pour lui dire ce qu'il sait déjà : « On n'a plus de place… » mais dans ses yeux on peut lire : « T'as le courage d'y aller ? » L'homme fort de la clinique prend une bouffée d'air avant de sourire : « C'est bon j'y vais… Portsall c'est chez moi ! » 45 minutes plus tard, Patrick arrive sur les lieux. Un promeneur l'attend sur la fameuse Côte Sauvage où gît le phoque. Avec sa silhouette bombée et sa fourrure grise, on le distingue à peine parmi les rochers. Mais voilà qu'il prend peur et s'enfuit vers la mer. Le soigneur s'élance pour intercepter l'animal qui montre les dents. Il l'attrape par les pattes arrière pour le hisser jusqu'à la route. La bête se contorsionne pour agripper le sol, menaçant au passage les mollets de son ravisseur qui manque plusieurs fois de tomber. La lutte s'achève bientôt et Patrick dépose le phoque dans une caisse ; direction Océanopolis où il portera le numéro 514. Agé d'un mois seulement, il pèse 17 kilos mais est un peu maigre des hanches. Il a surtout l'air épuisé et ne devrait pas rester longtemps à la clinique.

Une fois bagués, les animaux seront relâchés avant l'arrivée du printemps. L'opération s'effectue généralement près du Conquet, mais Christine préfère prendre ses distances par rapport au port. En effet, certains pêcheurs locaux éprouvent du ressentiment contre les phoques, persuadés d'avoir affaire à des concurrents insatiables. Pourtant, faut-il le rappeler, leur présence est révélatrice d'un milieu écologique équilibré. Chaque population s'autorégule en fonction de la capacité de soutien du milieu, et la position des phoques au sommet de la chaîne alimentaire stimule les populations de poissons.

© ZEPPELIN









LES PHOTOGRAPHES  ZEPPELIN
Géographes et photojournalistes, Bruno VALENTIN et Julien PANNETIER ont fondé ZEPPELIN en 2008. Ils voyagent pour comprendre comment les Hommes gèrent et utilisent l'espace. Ils travaillent main dans la main pour réaliser des reportages et les proposer à la presse française et internationale. Du golfe du Bengale à l'aiguille du Midi, des moines de la Grande Chartreuse aux officiers de la Marine nationale, ils signent toutes leurs images ZEPPELIN.