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LES DERNIERS PIGEONS SOLDATS D'EUROPE
SURESNES, HAUTS-DE-SEINE, FRANCE  •  PHOTOS © TRISTAN REYNAUD / AGENCE ZEPPELIN
À l'heure du tout électrique, des satellites de communication et de l'internet omniscient, l'Armée de terre continue d'élever des pigeons voyageurs. Le dernier colombier militaire d'Europe se trouve dans la forteresse du Mont-Valérien, à Suresnes. C'est là qu'on entraîne ces oiseaux comme autant de soldats, et pas seulement pour les cérémonies officielles. Agents de transmission jusque dans les années 1960, les pigeons constituent, aujourd'hui encore, un dernier recours en cas de black-out.
Les pigeons voyageurs sont utilisés depuis l'Antiquité, et leur intérêt a souvent été démontré dans les opérations militaires. En France, des régiments ont développé la colombophilie suite à la guerre franco-prussienne de 1870, lorsque les soldats n'avaient plus d'autre moyen pour communiquer avec Paris assiégée. Dès lors, l'armée française est devenue le fer de lance de cette activité. Pendant la Première guerre mondiale, près de 30 000 pigeons sont utilisés par la France, et 20 000 d'entre eux meurent « pour le pays ». Un de ces volatiles va connaître une notoriété inégalée : « En 1916, le commandant Raynal, sous la pression allemande au fort de Vaux, envoie son dernier pigeon avec un message de détresse. Ce pigeon appelé le Vaillant, est son ultime espoir. Volant dans la fumée et la mitraille, les gaz toxiques et quelque 8 000 obus allemands envoyés par jour sur le fort, le pigeon atteint son objectif et diffuse à temps le message. » L'Armée rend un hommage inédit pour un animal en lui décernant la Croix de guerre.

Aujourd'hui, dans la forteresse du Mont-Valérien, au sein du 8ème Régiment des transmissions, dernier bastion de la colombophilie militaire, le sergent Sylvain Rouffelaers aidé par le caporal Sébastien Guer s'occupent des 180 derniers pensionnaires de l'Armée française. Colombophile de père en fils, le sergent sait prendre soin de ces troupes d'élite, régulièrement passées en revue et entraînées comme des athlètes de haut niveau. Un pigeon voyageur peut parcourir plus de 1000 km en une fois et atteindre une vitesse de 120 km/h. Le sergent est le spécialiste de ces militaires d'un genre particulier. En un coup d'œil, il repère un futur champion : « L'âge mûr d'un champion c'est entre 1 et 6 ans. Et le plus fort des champions c'est Vaillant ! »

Vaillant est le pigeon du sergent. Tradition militaire oblige, chaque responsable d'une unité de pigeons-soldats se voit hériter d'un pigeon. C'est la fille du sergent qui l'a baptisé ainsi après avoir vu le film d'animation qui rend hommage à ce héros de la Grande guerre. Aujourd'hui le colombier de Suresnes est utilisé pour les cérémonies officielles et les concours nationaux et internationaux. Mais en cas de black-out, c'est à Vaillant que revient la charge de délivrer le premier message officiel de l'Armée.

Autonomes en énergie, les militaires ont des intranets, des radars et leurs propres satellites, mais ils doivent être capables de s'en affranchir. En cas de catastrophe majeure, les pigeons doivent être opérationnels pour rétablir les communications. Des pays comme la Chine en recrutent des dizaines de milliers pour son armée, tandis que la France dispose d'un des plus grands réseaux de colombophiles civils au monde. Plus de 15 000 colombiers y sont implantés – autant de relais qui peuvent à tout moment être utiles à l'armée. En cas de black-out, le sergent Sylvain et son pigeon se tiennent prêts à intervenir.

© TRISTAN REYNAUD / AGENCE ZEPPELIN




LE PHOTOGRAPHE  TRISTAN REYNAUD
Tristan couvre l'actualité française pour l'agence Sipa Press. Politique, société et culture sont les grands thèmes qui l'emmènent sur différents terrains d'investigation : élections présidentielles françaises, frontière hongroise, problématiques migratoires. Il s'oriente aujourd'hui vers des histoires plus longues. Il publie dans les plus grands magazines (Paris Match, Le Monde, Le Point, L'Obs, …).