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PYRÉNÉES : STUPEUR ET TREMBLEMENTS
TOULOUSE, TARBES, ARETTE ET CAMPAN © PASCAL THOLE / AGENCE ZEPPELIN
Les Pyrénées tremblent. Rien de nouveau, et pourtant, les sismologues n'ont de cesse de se creuser la tête. Du Pays basque jusqu'à la Méditerranée, la collision des plaques ibérique et eurasienne provoque d'imprévisibles secousses. En présence d'enjeux humains, économiques ou environnementaux, elles constituent un risque naturel qui doit être pris au sérieux. Ainsi peuvent en témoigner les habitants d'Arette qui, en 1967, ont vu leur village détruit par un séisme. Ou plus récemment, en 2020, lorsqu'une rivière a été subitement engloutie sous le village de Sainte-Marie de Campan. Des bouleversements que l'Observatoire Midi-Pyrénées se charge d'élucider, quitte à chausser les skis pour disséminer des capteurs sismiques.
Le trou de l'Adour

Une rivière vient de disparaître. Ce matin du 20 septembre 2020, l'Adour de Payolle a été subitement « engloutie dans un mystérieux trou » à la hauteur de Sainte-Marie de Campan dans les Hautes-Pyrénées. « Les pêcheurs désemparés n'ont eu que quelques heures pour venir secourir les poissons ». Ainsi relaté dans le journal La Dépêche du Midi, cet épisode pique la curiosité de Jean Letort, sismologue à l'Observatoire Midi-Pyrénées (OMP) de Tarbes. Il sait que le trou est localisé au croisement de deux failles tectoniques importantes : la nord-pyrénéenne et celle de l'Adour. Il décide donc de consulter le réseau national de surveillance sismique (le BCSF-RéNaSS dans le jargon). Il remarque une augmentation importante des séismes de faibles magnitudes, inférieures à 3 sur l'échelle de Richter. Concentrés en essaim, ils apparaissent dès la fin du mois de mai à quelques kilomètres au sud du trou de l'Adour. Depuis quarante ans, jamais autant de séismes n'ont été enregistrés à cet endroit, très proche du pic du Midi de Bigorre.

Branle-bas chez les sismologues. L'un d'eux, Frank Grimaud, part installer quatre stations de mesures temporaires entre Campan et le pic du Midi. Il faut étudier au plus vite ces essaims car, pour l'instant, « personne ne sait s'ils vont perdurer, voire s'ils sont précurseurs d'un séisme de plus forte magnitude », prévient le technicien, lui qui enchaîne avec aisance les lacets au volant de sa fourgonnette. Dans son coffre, des appareils électroniques en tout genre, des panneaux solaires, des batteries et... des skis ! Pendant presque deux ans, Frank et Jean interviennent ainsi par monts et par vaux. Les données du terrain sont relevées par clef USB avant d'être analysées à l'observatoire.

Les secousses cessent en décembre 2021. In fine, ce sont presque 5 000 séismes de faibles magnitudes qui ont été enregistrés. « Leur analyse montre que la sismicité est liée à la diffusion d'un fluide gazeux qui provient des profondeurs de la croûte terrestre, et qui remonte à la surface le long de failles tectoniques jusqu'alors inconnues. Cela réactive au passage de plus petites failles préexistantes, à l'origine des essaims sismiques », explique Jean en qualité d'enseignant-chercheur. Aujourd'hui, si la sismicité s'est stoppée du fait que ce « fluide » ait atteint la surface, l'OMP continue de surveiller cette zone qui peut être liée au tremblement de terre destructeur de 1660, historiquement connu dans les Pyrénées comme le plus meurtrier. Qu'en est-il du trou de l'Adour ? Son apparition est-elle liée à cette crise sismique ? Jean a deux hypothèses : « La première est que la sismicité, même faible et située à plusieurs kilomètres au sud du trou, a pu déclencher l'effondrement d'une cavité… le site est au croisement de deux failles tectoniques et dans un milieu karstique, sorte de « gruyère géologique », très facilement déstabilisable. La seconde hypothèse serait que le fluide se soit diffusé également plus au nord, par un réseau de failles connectées, et ait atteint la surface vers la zone du trou, provoquant les deux évènements ».

Dans les Pyrénées, la compréhension des aléas sismiques et des risques induits évolue tant avec le matériel disponible qu'avec les volontés individuelles et l'intérêt pour cette science. Et même si le premier sismographe apparaît en 1896 à Bagnères-de-Bigorre, il faudra attendre 1978 pour voir l'installation d'un réseau sismologique autour d'Arette, puis les années 1990 pour un réseau couvrant l'ensemble des Pyrénées. Les appareils de mesure se perfectionnent, se miniaturisent, et permettent aujourd'hui de travailler dans des milieux difficiles d'accès.


10 kilomètres carrés au peigne fin

Forts de ces progrès techniques, Jean et Frank ont pris part à un ambitieux projet de recherche de l'OMP. Il s'agit cette fois de ratisser le secteur oriental d'Arette, le plus actif des Pyrénées en nombre de séismes. C'est ainsi qu'au printemps 2022 est mis en place un réseau de 200 nouveaux capteurs, modernes et légers. La moitié d'entre eux permet de quadriller une aire de 10 km². Ils détectent et localisent précisément des centaines de microséismes, qui ont lieu sous ce réseau temporaire, en seulement un mois. L'autre moitié est disposée sur un transect nord-sud. Un « vibrateur sismique » est ensuite utilisé pour envoyer des vibrations à hautes fréquences dans le sol, lesquelles sont détectées par ces mêmes capteurs. L'analyse de ces deux déploiements imbriqués doit permettre une image en trois dimensions des vitesses de propagation des ondes.

Du 21 mai au 21 juin, les capteurs enregistrent le pouls de la montagne. Une opération qui permet d'étudier les secousses de faibles magnitudes qui surviennent régulièrement dans cette région depuis des dizaines d'années. L'autre objectif est d'évaluer la possibilité que ces séismes soient en partie dus à la diffusion d'hydrogène naturel le long des failles. À terme, les scientifiques de l'observatoire espèrent comprendre pourquoi il y a autant de séismes dans cette région, si régulièrement, et quelles en sont les causes. « Si l'hypothèse de l'hydrogène est avérée, on s'attend à identifier une migration de la sismicité vers la surface, comme on l'a observée près du pic du Midi », avertit Jean. « Alors des mesures de gaz seront réalisées en surface pour chercher un dégazage naturel d'hydrogène », poursuit-il.

En attendant, plusieurs mois seront nécessaires pour exploiter toutes les données enregistrées lors de cette opération. Les conclusions confirmeront-elles les hypothèses des sismologues ? Apporteront-elles d'autres informations ? Toujours est-il que les soubresauts qui se déroulent à plusieurs kilomètres sous nos pieds n'ont pas fini de nous surprendre. Caractérielle, ainsi tourne la Terre depuis des millions d'années.

Pascal Thole











LE PHOTOGRAPHE PASCAL THOLE
Pascal se plonge dans le photojournalisme et la photographie documentaire pour répondre à la curiosité qui nous anime, et mieux comprendre les enjeux du quotidien. Il photographie des anonymes dont la vie ordinaire constitue leur richesse. C'est ainsi, au cours de discussions, de rencontres ou bien de lectures, que les sujets se dévoilent devant lui. Originaire des Pyrénées, ses reportages s'inspirent du territoire qu'il affectionne ; ils abordent essentiellement des thèmes sociaux et environnementaux.