REPORTAGES PUBLICATIONS CONTACT
WUAMBUSHU TABLE RASE SUR UNE CRISE SOCIALE
MAYOTTE, FRANCE  •  PHOTOS © NICOLAS MATHYS / AGENCE ZEPPELIN
À la demande des élus et de la population mahoraise, l'opération Wuambushu est déclenchée le 24 avril 2023. Conduite par le ministère de l'Intérieur, elle vise à expulser les étrangers en situation irrégulière, à démanteler les bidonvilles et à lutter contre une soixantaine de bandes criminelles dans cet archipel de l'océan Indien. Pendant deux mois, quelque 1800 effectifs de police et de gendarmerie sont ainsi déployés dans le 101ème département français. Mais les réalités diplomatiques et judiciaires ne s'avèrent pas aussi simple, notamment face au gouvernement comorien qui s'oppose à accepter les expulsés, ainsi qu'aux magistrats et collectifs militants, déterminés à faire respecter les droits humains. Au sein des 1000 bangas (ces cabanes en tôle insalubres) dans le collimateur des forces de l'ordre, les clandestins et les Français se lient dans l'incompréhension et la colère.
[Mamoudzou, Mayotte, France, 21 avril 2023] Symbole des tensions et de la radicalisation nationaliste, on peut lire à l'entrée de la barge sur une grande pancarte : « Mayotte est française et le restera à jamais ».





[Mamoudzou, Mayotte, France, 21 avril 2023] Souvent citée comme « le plus grand bidonville de l'Union européenne », l'agglomération de Kawéni vit ses dernières heures de calme. Au lendemain des déclarations du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, dans Le Figaro, les forces de l'ordre s'apprêtent à être déployées pour détruire les bangas, des cabanes en tôle qui abritent de nombreux clandestins.


[Dzaoudzi-Labattoir, Mayotte, France, 22 avril 2023] Alors que le ramadan se termine, l'ensemble de Mayotte est animé par l'Aïd el-Fitr qui célèbre la rupture du jeûne pour les musulmans. Ici, une finale de championnat local de handball est disputée. Vecteur de liens sociaux, l'événement réunit toutes les générations de Mahorais, de Comoriens et de Malgaches telle une grande famille.
[Lagon-est, Mayotte, France, 29 avril 2023] Deux gendarmes maritimes procèdent au contrôle des identités et des autorisations de deux pêcheurs. Ils vérifient aussi les espèces pêchées, inspectant parfois l'embarcation et sa conformité aux normes de la législation française. Les principales missions des patrouilles nautiques comportent la recherche sur des zones potentiellement dangereuses (se tenant prêtes à secourir les usagers du lagon), la recherche en cas d'enquête judiciaire, et la surveillance et l'interception face à l'immigration clandestine mais aussi la pêche illégale.





[Koungou, Mayotte, France, 24 avril 2023] Au déclenchement de l'opération Wuambushu, un escadron de gendarmerie mobile est déployé entre Longani et Kangani. Face aux tensions qui se cristallisent dans toute l'île, ils tentent de « rassurer » les commerçants locaux qui doivent affronter un climat d'insécurité.


[Koungou, Mayotte, France, 24 avril 2023] Commandé par le capitaine Frappier, l'escadron jaune de gendarmerie mobile procède à des contrôles d'identité sur des points fixes, ainsi qu'à la recherche d'armes blanches au sein des véhicules. L'interpellation de personnes en situation irrégulière est également dans leurs prérogatives.
[Pamandzi, Mayotte, France, 22 avril 2023] Nombreux sont les habitants à venir quotidiennement sonner au portail du Centre de rétention administrative (CRA). Les uns essaient d'avoir des réponses, quand d'autres souhaitent rendre visite à un proche qui a été arrêté par la Police aux frontières (PAF). À défaut de pouvoir prouver la situation régulière ou en cours de régularisation de leurs proches retenus, ceux-ci se verront expulsés via une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) vers leur pays supposément d'origine. Beaucoup d'entre eux ne connaissent malheureusement pas leurs droits.





[Mamoudzou, Mayotte, France, 5 mai 2023] Blocus au Centre hospitalier de Mayotte par le « Collectif des citoyens de Mayotte ». Ces Mahoraises justifient leurs actions par « une impossibilité de se faire soigner à l'hôpital public, car saturé ». L'inquiétude demeure quant à « l'après Wuambushu », une opération qu'elles soutiennent pour pouvoir « récupérer le foncier accaparé par des individus illégaux à Mayotte, résoudre les problèmes de pillages, les viols, et les diverses agressions quotidiennes, notamment pour les enfants qui se rendent à l'école, conduisant parfois des lycées à fermer ».


[Pamandzi, Mayotte, 28 avril 2023] Une escorte de la Police aux frontières (PAF) menée par le commandant du Centre de rétention administrative (CRA) de Pamandzi, Dominique Bezzima, accompagne un groupe de Malgaches en situation irrégulière pour s'assurer qu'ils prendront un vol commercial à destination de Madagascar et les éloigner du territoire français. Le CRA fait régulièrement appel à des vols commerciaux en fonction des places disponibles pour éloigner sous escorte des retenus vers leur pays d'origine. En moyenne, 25 000 à 26 000 personnes sont ainsi éloignées chaque année.
[Koungou, Mayotte, France, 25 avril 2023] En perspective d'un « décasage » dans le quartier de Majicavo Duba à Talus 2, des bandes de jeunes et des escadrons de gendarmerie échangent jets de pierres et grenades lacrymogènes. L'affrontement aura duré une bonne partie de la nuit, jusqu'à 7 heures du matin, avant que la circulation ne soit finalement rétablie.





[Mamoudzou, Mayotte, France, 24 avril 2023] Depuis la veille, des affrontements ont lieu entre des bandes de jeunes et les forces de l'ordre aux abords d'un chantier de Tsoundzou 1 dont plusieurs véhicules ont été incendiés. Après avoir usé de gaz lacrymogènes pour repousser ces délinquants, les gendarmes se sont mis à leur recherche au sein de la végétation tropicale.


[Koungou, Mayotte, France, 25 avril 2023] Après une nuit d'affrontement avec des bandes de jeunes dans le quartier de Majicavo Duba à Talus 2, les escadrons de gendarmerie parviennent à rétablir la circulation vers 7 heures du matin. Derrière les barricades déblayées, le quartier porte les stigmates des incendies et des dégradations volontaires.


[Mamoudzou, Mayotte, France, 24 avril 2023] En périphérie de Tsoundzou 1, une maison mahoraise isolée a été pillée et saccagée par une vingtaine d'individus. La veille, ses occupantes ont été menacées de viol et d'immolation avant qu'elles ne décident d'évacuer les lieux. Elles affirment subir des vols et diverses intimidations depuis plusieurs années. Escadrons de CRS et gendarmerie ont fait face dans la journée à une forte hostilité de la part de ces bandes, les forçant à recourir au gaz lacrymogènes pour les déloger des collines avoisinantes.


[Koungou, Mayotte, France, 4 mai 2023] Après les jets de pierres en fin de matinée d'automobilistes en bord de route par des bandes de jeunes descendues des quartiers davantage défavorisés sur les hauteurs, s'en suivront des affrontements avec les forces de l'ordre dépêchées sur place. Une voiture de police en patrouille sera coincée et détèriorée. Les unités de gendarmerie repousseront finalement ces jeunes en colère vers les hauteurs, les délogeant des barrages et incendies à coups de grenades lacrymogènes et autres munitions de dispersion anti-émeute.
[Mamoudzou, Mayotte, France, 25 avril 2023] Un jeune salue le photographe dans le dédale des ruelles de Kawéni. Tout autour, on distingue les bangas, ces abris en tôle qui caractérisent les bidonvilles de l'archipel. Traditionnellement, le terme « banga » désigne la cabane que l'on attribue à l'adolescence de chaque garçon en vue de le décohabiter de sa propre famille. Ces constructions sont l'oeuvre d'un travail collectif mené sur la base de l'entraide (ou musada) en limite de village comme un passage à l'âge adulte. Elles symbolisent la prise d'indépendance des garçons en attendant le mariage, les femmes fournissant le terrain pour que l'homme y construise leur future maison. À Mayotte, l'héritage du foncier se fait dans le droit coutumier de mère en fille, une pratique aujourd'hui déstabilisée par l'application du droit français.





[Mamoudzou, Mayotte, France, 25 avril 2023] Au sein du quartier spontané de Kawéni, l'urbanisme n'est pas une mince affaire. Il ne s'agit pas de rénover une ville. mais littéralement de la créer sur des parties constructibles, et de structurer l'activité agricole et renaturer sur les parties inconstructibles. Le ramassage motorisé des déchets est, par exemple, impossible sur de tels escarpements. Malgré des opérations de nettoyage conjointes avec la population, les pluies n'ont de cesse de balayer les ordures qui jonchent le sol. La sensibilisation sur ces problématiques est d'ailleurs largement acceptée par les habitants.


[Koungou, Mayotte, France, 29 avril 2023] Dans le quartier de Barakani, où cabanes en tôle se juxtaposent tel un village, nombreuses sont les familles à vivre dans une insalubrité grandissante. Parmi elles, certaines ont pourtant des situations administratives régularisées, avec des enfants qui, souvent, possèdent eux-mêmes des papiers français. Ceux-ci témoignent : « On a déjà été décasé auparavant, alors qu'on avait accès à l'eau et même à l'électricité. Les pouvoirs publiques ont promis de nous reloger dans des conditions de vie dignes et appropriées ». Mais plus de 6 mois plus tard, aucune solution ne leur a encore été proposée.


[Koungou, Mayotte, France, 29 avril 2023] Dans le quartier de Barakani, de nombreuses familles vivent dans l'insalubrité. Saïd* témoigne : « Là où j'habite, il n'y a pas d'électricit. Je dois descendre chez des amis pour regarder la télé. (.) Je ne sais pas ce que je vais faire s'ils décasent ma maison, parce qu'il n'y en a pas d'autres à louer. Si je ne trouve pas de nouveau logement, ma famille et moi allons retourner à Anjouan, mais ma mère a passé sa vie ici. Elle vit à Mayotte depuis 1998. Elle n'a rien à Anjouan, Mohéli ou Grandes Comores. Les responsables de Mayotte doivent se réunir pour trouver d'autres solutions. L'opération Wuambushu va provoquer beaucoup de délinquance et de violence. Il faut trouver une autre solution. »


[Koungou, Mayotte, France, 29 avril 2023] Dans un banga de Barakani, où l'électricité fait défaut, un réfrigérateur encore fonctionnel est utilisé comme un simple placard. Abdou*, un habitant, témoigne : « Autour de moi, certains ont la nationalité française, d'autres non. Mais même parmi ces Français-là, il y en a qui se sont réunis pour prendre des machettes, brûler des voitures et lancer des pierres sur la police. Ils protestent contre le décasage de leurs maisons. Les événements qui se sont passés à Tzoundzou et Majicavo, ce n'est pas bien. mais voilà ce que provoque l'opération ! Parmi ceux qui ont été chassés de leurs maisons, certains sont de jeunes alcooliques, sans emploi, du coup ils sont énervés et vont faire n'importe quoi. 
[Koungou, Mayotte, France, 29 avril 2023] Dans le quartier de Barakani, de nombreux habitants se trouvent dans des conditions précaires. Lorsque les pluies torrentielles balaient les sols, les habitations deviennent très vite inondées. Les sanitaires, qui sont improvisés dans un trou à même le sol, débordent et polluent les alentours. Pas de moyen de stocker de la nourriture. Beaucoup peinent d'ailleurs à s'alimenter : ils dépendent de la solidarité et de l'entraide au sein de leurs communautés.





[Koungou, Mayotte, France, 29 avril 2023] Dans le quartier de Barakani, les habitants utilisent des bidons qu'ils remplissent d'eau depuis des bornes-fontaines réparties sommairement sur le territoire. Ces bornes sont accessibles avec des cartes pré-payées rechargeables uniquement à Kawéni. Cela accentue la précarité de certaines personnes qui doivent parfois parcourir des kilomètres pour y accéder, notamment pour ceux en situation irrégulière qui craignent d'être arrêtés par la police. La question sanitaire du stockage de cette eau en milieu tropical humide se pose également, le risque étant qu'elle soit vectrice de maladies.


[Koungou, Mayotte, France, 29 avril 2023, 12h11] Sans électricité et avec un accès réduit à l'eau, Maiza* est sur le point d'être expulsée de Barakani. « J'ai demandé au Conseil général d'acquérir le terrain pour y construire ma maison. Je ne veux pas partir d'ici, à moins que j'obtienne de la préfecture une carte de séjour, auquel cas je rejoindrai mes quatre enfants en métropole ; ils sont d'origine comorienne mais de nationalité française. Le père mahorais qui n'a jamais reconnu mes autres enfants est décédé. Alors je ne sais pas comment faire pour qu'ils obtiennent leurs papiers.  explique-t-elle, effrayée par le risque de voir ses enfants tomber dans la délinquance.
[Koungou, Mayotte, France, 22 mai 2023] Début du démantèlement du bidonville de Talus 2 à Majicavo après avoir finalement rebouté en appel la décision de justice qui avait mise à l'arrêt un mois plus tôt l'opération Wuambushu jugée à risque pour tous les habitants du quartier, même ceux non concernés par les « décasages ». Symbole de l'opération, à l'approche du premier coup de tractopelle, les forces de l'ordre quadrilleront et bloqueront l'accès à plusieurs partie de la zone pour procéder au lancement des démolitions par des entreprises mandatées par la commune. Plusieurs habitants du quartier, malgré l'assurance de la Préfecture et de la commune d'avoir proposer aux habitants des solutions de relogement temporaire et de stockage des biens personnels, auraient « découvert dans les médias, la veille pour le lendemain, la destruction de leurs habitations ».





[Koungou, Mayotte, France, 22 mai 2023] En conférence de presse devant le quartier Talus 2 à Majicavo, le préfet Thierry Suquet et les élus de la commune se félicitent du début des opérations et la reprise des liaisons maritimes avec les Comores pour les reconduites aux frontières, ainsi que dans le cadre de la lutte contre la délinquance, avec plus de 230 interpellations en un mois (cibles de la gendarmerie et individus lors d'affrontements). Autour, ouvriers et bulldozers s'activent déjà pendant qu'unités de gendarmerie et hélicoptères quadrillent la zone.


[Koungou, Mayotte, France, 22 mai 2023] Madi, un employé d'une compagnie chargée de la destruction du quartier Talus 2 à Majicavo avait demandé un congé de déménagement, refusé par son employeur. Celui-ci, réquisitionné pour procéder à l'opération, fait un malaise peu avant 8 heures dans sa propre rue lorsqu'il se voit contraint de participer à la destruction de son propre logement. Son employeur niera le jour suivant de l'avoir obligé à démolir sa propre maison. Inconscient, il sera transporté en civière par les secouristes des forces de l'ordre.
[Koungou, Mayotte, France, 27 mai 2023] En quelques jours, le bidonville de Talus 2 à Majicavo a été démantelé. Pour beaucoup d'habitants qui vivaient là depuis des années, qu'ils aient une situation régulière ou non, disposant parfois même des papiers de leur maison, l'incompréhension est totale. Hagat* témoigne : « Nous, on avait les papiers, les plans de notre maison, elle avait été faite par la SIM (Société Immobilière de Mayotte, ndlr.). D'autres bâtiments n'ont pas été détruits, les deux en bas en bord de route, on comprend pas. (.) Il y a plein d'habitants ici qui sont en situation régulière, qui avaient l'eau courante, l'électricité. On comprend qu'ils veuillent réduire les cases en tôle pour l'aspect sanitaire, mais on ne nous a pas laissé le temps d'acheter les terrains afin de construire des habitations dignes. »





[Koungou, Mayotte, 27 mai 2023] Sur les hauteurs de Talus 2, certaines familles en situation légale ont pu être temporairement relogées. L'offre est cependant très réduite par rapport aux besoins, et les bénéficiaires ne savent pas jusque quand ils pourront y rester. Abdoussa*, rencontrée dans les débris, témoigne : « On nous a proposé des solutions de relogement à l'autre bout de l'île qu'on a dû refuser. Nos enfants sont scolarisés ici et il n'y a pas assez de place dans les autres écoles. Et comment ferais-je pour les y emmener tous les jours ? Il n'y a même pas de bus. Et les gens dans le Nord ou le Sud, ils sont racistes, ils ne veulent pas de nous là-bas. » Beaucoup craignent que les relogements dans d'autres villages leur attirent les foudres et la vindicte locale, dans un contexte social violent et radical, d'amalgame total entre clandestins, immigrants et délinquants.


[Koungou, Mayotte, 27 mai 2023] Sur les hauteurs de Talus 2, à Majicavo, certaines familles en situation légale ont pu recevoir des solutions de relogement temporaire. L'offre est cependant très réduite par rapport aux besoins, et les bénéficiaires ne savent pas jusque quand ils pourront y rester. Les propositions ne tiennent pas toujours compte de la composition familiale et de la scolarisation des enfants. Yasmina* explique : « la maison que j'avais était beaucoup plus grande, là on a seulement 2 chambres, donc ce n'est pas suffisant pour amener toutes nos affaires et héberger une famille de 7 à 8 personnes ». Malgré les requêtes de familles, dans le cadre des propositions de relogement, pour inscrire leurs enfants dans les écoles des villages ciblés, les mairies seraient restées sans réponse (hormis dans le cas de collégiens et lycéens).
VOIR TOUTES LES IMAGES
LE PHOTOGRAPHE  NICOLAS MATHYS
Aventurier et passionné d'explorations, Mathys, comme il se fait appeler, s'intéresse aux milieux montagneux et polaires, et ce, depuis une expédition autonome en Islande. Ces dernières années, la découverte des étendues sauvages canadiennes, où il a été formé comme « guide de plein air », lui a permis de rencontrer les populations autochtones nord-américaines : les Premières Nations. Désormais installé dans le Sud-ouest de la France, il partage son temps entre les Pyrénées et le reste du monde.