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UNDER THE POLE 2
OUEST ET NORD DU GROENLAND © LUCAS SANTUCCI / UNDER THE POLE

Under The Pole est une série d'expéditions polaires sous-marines visant à explorer la face cachée des régions Arctique et Antarctique dans leurs diversités. Une nouvelle approche sous-marine pour des images uniques au monde et une meilleure connaissance scientifique du milieu. Un voyage à travers les immensités glacées les plus inaccessibles et les plus inhospitalières, sous la banquise au coeur de l'hiver ou dans les icebergs qui fondent en été.
De la passion et du sang froid

Après avoir imaginé et organisé Deepsea Under The Pole, une expédition de plongée sous-marine sous la banquise du pôle Nord géographique en 2010 à seulement 30 ans, Ghislain Bardout décide de repartir avec un voilier pour presque deux ans d'exploration au Groenland. Il porte ce projet avec sa femme Emmanuelle Périé-Bardout, déjà présente en 2010. Moins de quatre ans plus tard, l'équipe est à pied d'oeuvre sur le Why, un voilier en aluminium préparé pour les régions polaires. Leur petit garçon de deux ans, Robin, est également du voyage.

L'objectif est d'explorer en plongée la côte ouest du Groenland entre la surface et 120 mètres de profondeur. Jamais des plongées aussi profondes n'ont été tentées en région polaire. Pour ce faire, Ghislain et son binôme Martin Mellet sont équipés de scaphandres en circuit fermé, des « recycleurs » qui augmentent considérablement l'autonomie des plongeurs et suppriment la narcose, fameuse « ivresse des profondeurs » grâce au mélange de trois gaz : azote, oxygène et hélium. Les plongées profondes sont des plongées techniques et engagées. Avant de se mettre à l'eau, Ghislain et Martin se concentrent au maximum : une mauvaise interprétation, une erreur, peut être fatale à ces profondeurs.


Au large de Sisimiut, l'équipe se laisse prendre par le pack le temps d'une plongée. Plus tard, le vent disloquera les plaques et les libérera.


Le programme physiologique
Extrait du journal de bord, par Julien Hugon, en charge du programme physiologique sur les plongeurs en milieu extrême :

« La mission que je dois accomplir sur cette quinzaine est double : apporter des réponses sur une problématique spécifique de plongée en eau froide et veiller autant que faire se peut à la sécurité des plongeurs, par devoir professionnel et personnel. L'objectif principal consiste à évaluer le stress physiologique auquel se soumettent les plongeurs de l'expédition, et en particulier les plongeurs techniques profonds. Ghislain Bardout et Martin Mellet effectuent depuis quelques semaines des plongées en recycleur semi-fermé (mélange oxygène-hélium-azote, dit trimix) au-delà de 80m en eau très froide (entre -1°C et 1°C). Ils soumettent leur organisme à deux types d'agressions :

- leurs plongées sont profondes et nécessitent donc des remontées très lentes jusqu'à la surface ; ils limitent ainsi la formation de bulles dans les diverses partie du corps. Cette phase de décompression constitue un stress physiologique majeur.

- du fait des longues décompressions requises, leurs plongées sont toujours assez longues (entre une heure et deux heures) et leur corps est donc soumis à un environnement très froid en comparaison des plongées en milieu tempéré. Malgré la combinaison étanche (qui s'impose, naturellement), le refroidissement des individus est important, ce qui constitue un second stress physiologique important.

La décompression, d'une manière générale, constitue une des barrières physiologiques les plus importantes limitant l'exploration des fonds sous-marins en scaphandre. C'est une problématique majeure pour les plongeurs. L'accident de décompression, qui peut être grave (atteintes neurologiques plus ou moins irréversibles notamment), est toujours la conséquence d'un dégazage inadapté du corps lors de la remontée. En effet, lors d'une exposition, le plongeur respire un ou plusieurs gaz inertes sous pression (azote, hélium) qu'il assimile peu à peu sous forme dissoute via le réseau artériel. Une partie du gaz inerte accumulé dans les tissus lors de l'exposition est éliminée sous forme dissoute et une autre partie, sous forme de bulles lors de la remontée. Dans le corps, les bulles se forment un peu partout et on en retrouve dans la circulation sanguine veineuse.
Je suis venu ici avec des systèmes acoustiques s'appuyant sur l'effet Doppler. Une sonde émettrice et réceptrice permet de détecter le passage de bulles, au niveau du coeur notamment. C'est le seul moyen dont nous disposons à ce jour pour évaluer immédiatement après plongée le stress physiologique de la décompression auquel se soumet le plongeur. »


Julien Hugon est intervenu dans l'expédition en mai 2014 au titre d'un partenariat scientifique qui mobilise l'expertise de sa société BF Systemes et celle de l'Institut de Recherche Biomédicale des Armées (IRBA) pour la partie physiologie en condition extrême.


La première plongée à -100 m en Arctique
Extrait du journal de bord, par Martin Mellet :

« Évoluer et explorer la zone des 100 mètres était un objectif, et en passant cette barre, on ouvre symboliquement ce champ exploratoire. Ceci étant, 100 m en plongée c'est un peu comme la centième plongée, ce n'est pas très différent de la 95e, mais c'est un marqueur dans le temps.

La 100e plongée c'était il y a 18 ans, et j'avais 18 ans. Il y aura eu pas mal de bulles avant que je ne me mette à la plongée trimix, puis au recycleur pour aller enfin chercher plus bas, là où peu de personnes vont. Là où chaque plongée devient un peu plus qu'une promenade.

La plongée profonde est une autre discipline, une autre façon d'appréhender la plongée. C'est pourquoi il fallait d'abord être d'accord avec Ghislain sur la façon d'aborder ce type de plongée au Groenland. On a pris le temps d'en discuter. Par le passé, on a joué ensemble trop près de la ligne rouge, et l'échec aurait été de se laisser griser. Mais il ne faut surtout pas se laisser tenter, ou tenter l'autre de griller les étapes.

Ce qui me surprend le plus aujourd'hui, c'est le respect d'une progression menée avec sérieux pendant quatre mois. C'est aussi ce qui me fait le plus plaisir. Réaliser des plongées profondes requiert de bien connaître son binôme. La complicité sous l'eau s'est construite depuis de nombreuses années avec Ghislain mais là, elle a pris une toute autre ampleur avec cette vie en vase clos à bord du Why et l'enchaînement des plongées. A force de plonger ensemble, nous avons appris à décrypter nos attitudes mutuelles. Cela nous permet de savoir dans quel ambiance intérieure se trouve l'autre, et ainsi, de faire des choix au cours de la plongée qui ne nous exposent pas aux accidents.

Si cette complicité est importante, voire indispensable à mes yeux, il a aussi fallu s'exercer pas à pas pour s'aventurer plus profond. Chaque profondeur a été validée par une série de plongées à la même profondeur pour prendre nos marques tels que la durée de la descente, le temps fond, l'obscurité, la longueur des paliers et le froid. Les paliers n'ont cessé d'augmenter, jusqu'à durer plus d'une heure entre 9m et la surface, ce qui n'est pas anodin quand l'eau est en dessous de 0°C. Il s'agit de ne pas souffrir d'une impatience qui fait de ces paliers une barrière qui nous emprisonne à quelques mètres de la surface. Le froid et la fin de la plongée ne doivent pas devenir une obsession. Avec l'expérience, on sait à partir de quand le froid devient une gêne qui finit par se faire oublier, puis de nouveau s'imposer et nous plonger dans un état pas franchement dynamique. On connaît l'histoire, on a déjà vécu la plongée avant même de s'immerger, ce qui rend les choses beaucoup plus faciles.
Au fur et à mesure, on a répété les procédures d'urgence, confirmé nos choix de mélange, vérifié nos consommations en gaz, et assimilé le comportement des recycleurs dans ces conditions de froid. On a identifié les petits problèmes, trouvé des solutions tout en acquérant des gestes plus sûrs et plus efficaces.

En même temps que Ghislain et moi descendions de plus en plus profond, l'équipe de sécu en surface a beaucoup observé, reproduit les mêmes gestes et adapté les procédures aux situations. L'équipe est maintenant rodée et Lucas, l'homme consciencieux du bateau, est parfait dans ce rôle. Emmanuelle et lui ont leurs propres repères pour décrypter notre comportement depuis la surface. En suivant le profil de la plongée et la nature du site, on sait qu'ils auront une idée juste de la situation et qu'ils auront les bons réflexes en cas de problème. »


Ghislain de retour d'une plongée à –90 m, tandis que l'équipe de surface attendait avec des bouteilles de décompression.


Il y a toujours de la vie dans le noir
Extrait du journal de bord, par Ghislain Bardout :

« Pourquoi plonger à 100 m en région polaire ? Parce que ces profondeurs nous attendent, et que l'exploration est le propre de l'homme. Parce que c'est un défi logistique, technique et humain et qu'on aime les défis. Parce que je rêvais d'aller voir.

Aujourd'hui, alors que nous dominons de 100 m un talus sous-marin plongé dans le froid et le noir, la complicité entre Martin et moi née d'une passion commune pour la plongée nous permet de nous immerger sereinement après un dernier et furtif regard. Nous relâchons la gâchette de nos scooters à 6 m pour faire quelques derniers ajustements de confort et reprenons notre descente.

La descente est toujours plus lugubre que la remontée qui se fait en direction de la lumière. Seconde après seconde, mètre après mètre, le fond défile sous nos yeux. Nous slalomons entre les rochers, sautons les petits tombants et nous enfonçons plus encore. A 30 m, j'allume mes phares car la pénombre s'installe. La faible visibilité rend la descente longue, surtout les deux premières minutes. Nous venons de changer de monde et même avec l'habitude, il faut reprendre ses repères. 60 m… il en reste encore 40 et déjà mon ordinateur égrène les minutes de décompression obligatoires et abaisse ma profondeur plafond à ne pas dépasser à la remontée sous peine d'accident de décompression. 80 m… la descente est maintenant rapide et dans quelques secondes nous serons à 100 m. La visibilité s'est améliorée, nous sommes dans un noir absolu et notre environnement se réduit au cône de nos lumières.

Ça y est ! Les 100 m sont là. J'arrête mon scooter et me redresse pour m'imprégner du lieu. Le sol est jonché de coquilles et les rochers environnants sont surmontés de crinoïdes. Encore un regard avec Martin, un peu plus long cette fois, qui raconte à la fois l'intensité et la concentration du moment, et la satisfaction de réaliser enfin et ensemble notre première 100 m. Quelque part dans les eaux de cette baie nagent des bancs de narvals et je me plais à rêver d'une rencontre. Je suis heureux et profite pleinement de ces minutes à naviguer quelques 103 m sous les plaques de banquise et les icebergs. »


Under The Pole mène une collaboration scientifique avec le Museum national d'Histoire naturelle sur les crinoïdes. Jamais étudiée au Groenland, cette espèce n'était pas référencée dans les eaux arctiques. Ici, un crinoïde à 78 degrés nord, à 102 mètres de profondeur.


LE PHOTOGRAPHE LUCAS SANTUCCI

D'abord ingénieur agronome, puis photo-journaliste, Lucas a intégré l'équipe d'Under The Pole comme responsable logistique et partenariat. Il a embarqué pour 18 mois d'expédition au Groenland dans la promiscuité d'un voilier où il s'est affirmé comme photographe terrestre et sous-marin. Après avoir documenté 9 mois de navigation qui l'ont amené à 80°Nord, Lucas a vécu l'hivernage pris dans les glaces, à quelques kilomètres d'un village de chasseurs-pêcheurs.
LE LIVRE IMMERSION POLAIRE

Le 17 septembre 2015 paraîtra le livre d'Under The Pole II : Immersion polaire - 21 mois d'exploration au Groenland, par Emmanuelle Périé-Bardout et Ghislain Bardout, aux éditions Ulmer. De cette exploration totale et inattendue du Groenland, l'équipe a rapporté des images exceptionnelles : une ode à la beauté d'un monde proche et pourtant méconnu. Les photos sont de Lucas Santucci et l'ouvrage est préfacé par Roland Jourdain.
VOIR AUSSI UNDER THE POLE 3

De 2017 à 2020, Under The Pole part pour une aventure dédiée à l'exploration des océans. Une équipe de plongeurs et de scientifiques vont parcourir le monde à bord de la goélette polaire Why, de l'Arctique à l'Antarctique, en passant par le Pacifique et l'Atlantique. Leur objectif : étudier le milieu sous-marin et développer de nouvelles techniques de plongée, pour prolonger la durée des immersions humaines.