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ALEXANDRE GABRIEL L'AVENTURIER DES SPIRITUEUX
COGNAC, CHARENTE, FRANCE + BRIDGETOWN, BARBADE © ZEPPELIN
Incontournable dans le milieu des spiritueux, Alexandre Gabriel multiplie les projets qui ont du nez. Acquéreur de Ferrand en 1989 lorsque le cognac est en pleine crise, pionnier du gin en France avec la marque Citadelle qu'il crée en 1996, l'entrepreneur surfe à contre-courant des tendances en suivant ses coups de cœur. En 2017, il achète une distillerie à la Barbade pour sa marque de rhum Plantation tandis qu'il s'en construit une en Charente. Autant d'outils puissants à la croisée de terroirs riches. Ainsi peut-il diriger ses productions de bout en bout, tel le rhum qu'il élève sous les tropiques avant de le rapatrier chez lui en fûts de cognac. Une vieille recette de négociants qu'il allie à des procédés innovants pour concevoir des cuvées limitées comme autant de perles rares. Passionné et passionnant, le master blender de Maison Ferrand nous emmène voir ce qu'il y a sous ses étiquettes.
LE PREMIER GIN DE FRANCE
[Ars, France] Debbie Gabriel, coordinatrice marketing, réside et travaille au château de Bonbonnet, un édifice achevé en 1891 dans le contexte viticole du Cognaçais. Son mari a repris l'aventure du cognac Ferrand en 1989, et c'est ici, en 1994, qu'il a installé la société avant d'en devenir actionnaire majoritaire en 2008. Héritière d'un savoir-faire établi en 1610, la Maison Ferrand a connu une croissance continue en se diversifiant autour du gin en 1996 et du rhum en 1999.





[Gimeux, France] Nicolas Malfondet, responsable recherche et développement, et Benjamin Galais, directeur technique, participent à la récolte des baies de genévrier commun (Juniperus communis) sur l'une des trois parcelles de l'entreprise dédiées aux genévriers. Ici, sur le Terrier de Fanaud, une colline calcaire à 2 km du château, les arbustes sont sauvages et âgés, et il faut débroussailler régulièrement pour y accéder.


[Gimeux, France] Responsable recherche et développement, Nicolas Malfondet participe à la récolte des baies de genièvre qui s'effectue en octobre-novembre. Il emploie un bâton pour faire tomber les centaines de baies que porte chaque branche, et un tamis pour les réceptionner. Les baies mettant deux ans à mûrir, seules les bleues-noirâtres chutent tandis que les vertes restent accrochées jusqu'à l'année suivante.


[Angeac-Champagne, France] Le gin Citadelle a d'abord été élaboré au Logis d'Angeac, lorsque la campagne de distillation du cognac prenait fin, à chaque 31 mars selon les règles de l'AOC. Alexandre Gabriel avait d'ailleurs passé cinq ans à négocier auprès des douanes pour pouvoir distiller un autre produit durant cette période d'inactivité. Dans les mêmes alambics et pendant 25 ans, le gin Citadelle a pu succéder au cognac Ferrand, ce qui requérait toutefois beaucoup d'anticipation pour les besoins annuels.


[Angeac-Champagne, France] La recette du gin Citadelle conjugue l'infusion progressive de 19 aromates dans l'alcool neutre de blé. Le procédé ne dépasse pas 72 heures, mais le tour de main est un secret bien gardé. Ici, Nicolas Malfondet et Benjamin Galais sentent, goûtent et crachent le distillat en temps réel. Avec l'approbation d'Alexandre Gabriel, le maître distillateur, c'est à eux d'opérer les coupes entre les têtes, le cœur, les secondes et les queues de chauffe. Une lourde responsabilité quant à la valeur intrinsèque du spiritueux.
[Ars, France] Nicolas et Benjamin dégustent un gin élevé dans un fût neuf de châtaignier dont les tanins lui confèrent une « structure élégante ». Ensemble, ils développent divers essais sur les essences de bois telles que l'acacia, le mûrier, le merisier, le chêne ayant contenu du pineau, du cognac ou du tokay. Un gin a même été élevé en petits fûts de genévrier, une prouesse technique tant la dureté de cet arbre ne se prête guère au cintrage des douelles. Au premier plan, on devine un foudre ovoïde de 20 hectolitres dans lequel le gin est assemblé par convection naturelle.





[Châteaubernard, France] Alexandre réceptionne du rhum de la Barbade où il a été préalablement vieilli en fûts. « Aujourd'hui encore, quand nous achetons du rhum, nous demandons toujours qu'on nous l'envoie en fûts. L'interaction entre le bois et le liquide, ce vieillissement dynamique, est au maximum pendant le voyage : c'est un milieu humide, et ça bouge tout le temps avec le roulis, pendant deux, trois, quatre mois, et jusqu'à six mois quand les fûts viennent de Fidji », rapporte le maître de chai. En France, le rhum passe ensuite dans des fûts de cognac pour vivre un second vieillissement.


[Châteaubernard, France] Un gardien de fûts et Luc Satgé, assistant maître de chai, dégustent un rhum en train de vieillir. Chaque fût est unique, d'autant qu'il favorise la micro-oxygénation, et donc l'évolution du rhum. Outre l'essence de bois, le degré de bousinage et le liquide contenu précédemment, il est caractérisé par sa position dans le chai (proximité du sol ou des murs, debout ou couché) et par le chai lui-même (sec ou humide). Ainsi, sur un single cask embouteillé au degré naturel, les possibilités sont innombrables. Aujourd'hui, les cavistes et leurs clientèles apprécient cette diversité qui fait partie de « l'exploration » dans la dégustation.
L'APPEL DES TROPIQUES
[Bridgetown, Barbade] En 2017, la Maison Ferrand achète la West Indies Rum Distillery, véritable institution fondée à la Barbade en 1893. « À ce moment-là, la distillerie allait mal financièrement, mais bien techniquement », confie Alexandre Gabriel qui a tout de suite vu son potentiel. Ainsi, la marque Plantation a pu produire son propre rhum, tandis que les clients concurrents ont continué d'être fournis par la distillerie et ses 80 employés.





[Bridgetown, Barbade] Les ingénieurs de l'entreprise Tomsa Destil purgent l'alambic en single column qu'ils ont installé en 2021. Dessiné par Alexandre Gabriel, ce nouvel outil mesure une vingtaine de mètres de haut. « C'est le plus lourd investissement qu'ait réalisé la distillerie depuis 1995. Il a permis de se séparer du Stone & Webster (#79), un alambic très industriel, à quatre colonnes, qui travaillait 24 heures sur 24 en produisant 45000 litres par jour à 94% pour un rhum léger. Il ne nous plaisait pas, donc on l'a mis à la retraite », argue Alexandre.


[Bridgetown, Barbade] « La première fois que j'ai poussé la porte de West Indies, j'ai cru débarqué dans un film, quelque part entre Jules Verne et Gotham City », s'amuse Alexandre. « Au début, c'était pour vendre des fûts d'occasion de cognac Ferrand que je me rendais aux Caraïbes. L'histoire de Plantation a commencé sur une base de négoce. On choisissait des fûts et des lots à distiller sur différents terroirs. Et finalement j'ai eu envie de maîtriser le produit de bout en bout, comme je le faisais déjà avec le cognac et le gin », raconte l'entrepreneur.


[Bridgetown, Barbade] « Avec 1 tonne de mélasse, on produit 80 litres d'alcool pur », précise Alexandre en trempant son doigt dans une cuve de fermentation pour goûter. Le moût est constitué de mélasse, d'eau et de levures : « À ce stade, ça m'évoque un cidre », s'enthousiasme-t-il devant l'écume brunâtre boursouflée par les gaz.


[Bridgetown, Barbade] Consultant pour la distillerie, Vivian regarde une fiole de rhum vieilli en fût. Derrière lui, un « alambic à repasse » laisse échapper des effluves d'alcool de canne à sucre évoquant notamment la banane et l'ananas. Il s'agit du Hot Pot Still qui a été fabriqué en France en 2020 d'après de vieux plans archivés à la Barbade.
[Bridgetown, Barbade] 85% du rhum blanc de la Barbade est produit à West Indies Rum Distillery. La majorité est vendue en vrac, mais depuis que Maison Ferrand a acquis cet outil de production, une part grandissante est destinée aux marques Plantation et Stade's. Née en 2021, cette dernière est uniquement distribuée sur le marché local et aux États-Unis. Le rhum vieux prend donc de plus en plus de place, comme ici dans le tout nouveau « bond no.8 ». En 2022, 21000 barriques de 200 litres reposent dans les chais dont la capacité atteint 35000. Installé à proximité de l'océan, dans des ambiances variables mais de facto tropicales, le rhum subit une part des anges de 7-8% par an.





[Bridgetown, Barbade] En tant que spécialiste assurance qualité, Miyka Sobers garantit la conformité des rhums selon les exigences et réglementations en vigueur. Ici, elle effectue un titrage d'oses réducteurs présents dans de la mélasse fermentée, c'est-à-dire le taux de sucre qui doit encore se transformer en alcool. Dans une fiole contenant le moût préalablement dilué, elle ajoute une liqueur de Fehlings, une solution étalon de glucose, du bleu de méthylène et fait bouillir le tout.


[Bridgetown, Barbade] Alexandre Gabriel et Dario Jordan, contrôleur de production, dégustent des rhums vieillis dans différents fûts. Au cours d'une distillation, des dégustations à l'aveugle sont organisées toutes les 4 heures. « Chaque employé peut y participer, même s'il travaille sur un fenwick ! » raconte Alexandre qui entend fédérer ses équipes. « Parfois la chromato est nickel, mais c'est au nez qu'on décide que ça ne va pas. Alors on redistille, on retravaille le lot », précise-t-il avec exigence.
[St. Thomas, Barbade] Au volant de sa voiture, Alexandre part à la rencontre des différents acteurs de l'île. En quittant la distillerie, il passe devant les anciens canons de Bridgetown, les gigantesques paquebots de croisière, les chattel houses colorés, la fameuse Rihanna Drive et les champs de canne à sucre. Un paysage bigarré qui, depuis 2021, est celui d'une république où la reine Élisabeth II a été remplacée par un président élu.





[St. Thomas, Barbade] Les champs de canne à sucre font partie intégrante du paysage, quoique l'industrie sucrière de la Barbade décline fortement depuis les années 1960 à cause de coûts de production croissants et de prix de vente réduits. Aujourd'hui, la distillerie d'Alexandre Gabriel travaille avec la West Indies Central Sugar Cane Breeding Station et le Ministère barbadien de l'Agriculture pour développer une économie plus viable de la canne.


[St. Joseph, Barbade] Mahmood Patel dirige la Coco Hill Forest, une vingtaine d'hectares dédiés à l'agriculture régénératrice et à l'agroforesterie. Une petite partie du site se rapproche de la « forêt précoloniale » avec entre autres des fougères arborescentes et des palmiers indigènes. Ici, il montre sa culture de « gingembre-mangue » (Curcuma amada) dont le rhizome pourrait intéresser Alexandre, master blender des rhums Plantation.
UN BÂTISSEUR PASSIONNÉ
[Ars, France] Alexandre Gabriel joue du piano dans le salon du château de Bonbonnet où les références aux Ferrand sont omniprésentes : « Vous ne démarrez pas une entreprise de cognac, vous en héritez », confie-t-il avec humilité. Foisonnant d'idées, ses projets sont guidés par le raffinement et les émotions nouvelles. Il préfère s'éloigner des sentiers battus, et parfois des AOC, en élevant par exemple une eau-de-vie de vin en fût de châtaignier, et qu'il aurait pu appeler « cognac » si le fût était en chêne.





[Angeac-Champagne, France] Dans la cuisine du château de Roissac, Alexandre Gabriel évalue avec Stéphane Bessaguet les travaux qu'il reste à faire pour installer les chais. Construits vers 1770, le bâtiment et ses dépendances sont aujourd'hui destinés au vieillissement du rhum en fût de cognac. Ils constituent un site prestigieux pour l'univers de la marque Plantation, à la croisée des savoir-faire caribéen et charentais.


[Ars, France] Alexandre Gabriel veut un écrin pour chacune de ses marques, et Citadelle n'est pas en reste avec le château de Bonbonnet. C'est là, dans les anciens chais, qu'il fait ouvrir les murs et restaurer les arches afin d'installer sa propre distillerie. « Faute de pouvoir voyager pendant la crise du Covid-19, les travaux avancent rapidement », relativise le bâtisseur qui a conçu les plans en interne.
[Salles-d'Angles, France] Alexandre Gabriel accompagne la livraison du Rockley Still en provenance de la Barbade. Fabriqué par James Shears and Sons, entreprise active de 1785 à 1891, l'alambic a été acheté en 1936 par la West Indies Rum Distillery avant d'être laissé à l'abandon dans les années 1960. « En y regardant de plus près, il date de fin XVIIIème, début XIXème, avec des rivets traditionnels battus à la main en cuivre et en laiton. Il est en relativement bon état, mais surtout il est réparable ! », s'enthousiasme Alexandre devant ce qui serait le plus vieil alambic à rhum au monde.





[Salles-d'Angles, France] Un chaudronnier chauffe un tube de cuivre à la flamme avant de le modeler dans une cintreuse. Cette pièce en spirale deviendra le condenseur d'un alambic qu'Alexandre a redessiné : « À Cognac, il y a encore quelques chaudronniers qui savent travailler à la main comme autrefois. J'aime beaucoup ces gars-là. Si je me considère parfois comme un Frankenstein de l'alambic, eux ce sont de vrais médecins ! » confie-t-il avec admiration.


[Salles-d'Angles, France] Alexandre Gabriel regarde la chaudière du Hot Pot Still que les artisans chaudronniers ont fini de riveter. Elle a été façonnée « à l'ancienne » d'après les plans d'un alambic à repasse trouvés dans les archives de la West Indies Rum Distillery. En acquérant cette distillerie barbadienne, l'entrepreneur s'est fait fort de remettre sur pied les outils de production du XIXème siècle dont le fonctionnement avait été documenté.
[Ars, France] Le château de Bonbonnet a été construit et achevé en 1891 par les Briand, une riche famille de vignerons, distillateurs et marchands de cognac. Il a été dépossédé de son domaine viticole de 38 hectares avant de passer entre les mains de la famille Martell. Acquis en 1994 par Maison Ferrand, le prestigieux site est finalement dédié à la production de gin, avec les chais à gauche et la distillerie à droite. Des genévriers (invisibles ici) ont même été plantés en face du château en vue de leur récolte.





[Ars, France] À l'inauguration de la distillerie, toute l'équipe de Maison Ferrand et de nombreux invités sont reçus à Bonbonnet. Ils sont administrateurs, financiers, comptables, logisticiens, vignerons, chaudronniers, maçons, jardiniers, employée de ménage, distillateurs, tonneliers, gardiens de fûts, agronomes, œnologues, commerciaux, graphistes, communicants, journalistes, influenceurs, partenaires et bartenders.


[Ars, France] Alexandre Gabriel pousse un cri de victoire en coupant le ruban rouge qui inaugure sa nouvelle distillerie. Passionné et passionnant, il rassemble de nombreux fans qui n'hésitent pas à immortaliser la scène avec leurs smartphones. « C'est la distillerie dont je rêvais », confie Alexandre Gabriel avant de laisser entrer les convives entrer dans ce qui prend des allures de cathédrale.
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LES PHOTOGRAPHES ZEPPELIN
Géographes et photojournalistes, Bruno VALENTIN et Julien PANNETIER ont fondé ZEPPELIN en 2008. Ils voyagent pour comprendre comment les Hommes gèrent et utilisent l'espace. Ils travaillent main dans la main pour réaliser des reportages et les proposer à la presse française et internationale. Du golfe du Bengale à l'aiguille du Midi, des moines de la Grande Chartreuse aux officiers de la Marine nationale, ils signent toutes leurs images ZEPPELIN.