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LOPBURI COMMENT DÉTRÔNER LES SINGES ?
LOPBURI, THAÏLANDE  •  PHOTOS © JULIEN CLOZEAU / AGENCE ZEPPELIN
« Les singes ont pris le pouvoir », déplore un commerçant harassé. Comme de nombreux citadins, il vit désormais à l'abri derrière des barreaux, tandis que les macaques quadrillent l'asphalte pour trouver de la nourriture. Rixes, vols, saccages… c'est le quotidien de Lopburi, une cité historique à 140 km de Bangkok dont les touristes préfèrent se détourner. Une catastrophe économique à laquelle répondent plusieurs campagnes de capture et de stérilisation. Qu'à cela ne tienne, l'animal est profondément respecté dans la culture thaïlandaise.
Surnommée la « ville des singes », Lopburi a longtemps attiré des touristes du monde entier. Cette petite ville au riche passé historique permettait d'admirer les macaques errants dans la rue et ceux vivant sur l'ancien temple khmer, le Prang Sam Yod.

Mais depuis 2020 et la pandémie de Covid-19, la situation s'est envenimée. La population de macaques crabiers (Macaca fascicularis) a quasiment doublé, passant d'environ 3500 à 6500 individus en quatre ans. La ville de 27 000 habitants s'est alors retrouvée assiégée par des singes répartis en différents « gangs » devenus incontrôlables. Vols de nourriture et de biens, agressions des habitants et des touristes, accidents sur la voie publique, détérioration des bâtiments, odeurs d'urine et d'excréments… on ne compte plus les nuisances de cette espèce liminaire.

Néfastes aussi pour l'économie de la ville, les commerces ont été nombreux à fermer à cause d'eux. Les investisseurs étrangers ont abandonné tous projets, ceux en cours, comme ceux à venir, et les touristes ont, depuis deux ans, délaissé Lopburi. Autrefois attraction touristique, les macaques font désormais fuir tout le monde. La cité se fane.

Pour certains, la baisse du tourisme pendant la pandémie explique en partie l'expansion de la population simiesque. Étant moins occupés à traquer la nourriture auprès des visiteurs, les singes ont eu plus de temps et d'énergie pour se reproduire. Pour d'autres, c'est aussi la qualité des aliments donnés par les étrangers et les Thaïlandais (qui ont toujours eu pour habitude de nourrir cet animal sacré, incarné par le dieu Hanuman) qui a eu une influence sur leur reproduction. Une alimentation inadaptée avec trop de sucre aurait ainsi donné plus de vitalité aux macaques qui se sont accouplés avec encore plus d'entrain.
Knot et Nong discutent avec un client, séparés par une grille qui protège l'intérieur du magasin des incursions de singes. Le couple tient le dernier magasin encore en activité en face du temple Prang Sam Yod, le repaire des macaques. © JULIEN CLOZEAU / AGENCE ZEPPELIN
Regagner une cohabitation sereine
En février 2024, devant les conséquences économiques et sanitaires, une grande campagne de capture et de stérilisation a permis de ramener leur population à moins de 4000 individus dans le centre-ville. Les captifs ont été placés dans un refuge conçu à cet effet, là même où des programmes de stérilisation ont pu se dérouler.

Accepter de vivre avec les singes et apprendre à les aimer, c'est la voie qu'ont choisi Jiripat Tantiwong et son épouse Saraporn, surnommés Knot et Nong, les propriétaires du dernier magasin en encore en activité en face du temple, sur la Prang Sam Yod Road. Leur local est protégé par une grille, ils reçoivent leurs clients dans ce qui est devenu leur cage. Depuis cette « cellule », ils nourrissent les singes libres dans la rue, sans rancune, avec cœur. Le couple, qui n'a pas d'enfants, aime les singes malgré les nuisances qu'ils occasionnent.

Il y a un an, Sweet, une jeune femelle qu'ils avaient quasiment apprivoisée, a été capturée devant leur magasin lors de la précédente campagne de stérilisation. Depuis ce jour, ils se rendent deux fois par semaine pour lui rendre visite et donner à manger aux autres singes enfermés avec elle. Pour le couple comme pour les agents du Département des Parcs Nationaux, de la Faune et de la Flore (DNP), les singes auront toujours leur place à Lopburi. Ils sont l'âme de la ville, une partie de son identité, de son histoire.

En mars 2025, le DNP a repris ses opérations pour réduire davantage le cortège de macaques. Il s'agit, in fine, de permettre aux singes et aux hommes de cohabiter à nouveau sereinement.

Julien Clozeau
LE PHOTOGRAPHE  JULIEN CLOZEAU
Infirmier pendant plus de 20 ans avec de longs séjours en Guyane et Nouvelle-Calédonie, Julien a décidé de suivre ses rêves en devenant photographe professionnel en 2024. Son travail s'intéresse à l'Homme, sa dimension sociale et son rapport à l'environnement. Épanoui quand il a tout à réapprendre de ce qui l'entoure, il est actuellement basé en Asie du Sud-Est.