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INTERSTATES TRAVERSÉE D'UNE AMÉRIQUE BIPOLAIRE
DE NEW YORK À LOS ANGELES, ET PORTLAND, ÉTATS-UNIS © JÉRÔME TAUB / AGENCE ZEPPELIN
Loin du road trip romantique inscrit dans l'inconscient collectif, Interstates – du nom des autoroutes qui relient les Etats-Unis – est une immersion dans le quotidien concret de la société américaine. De la côte est à la côte ouest, cette traversée va à la rencontre d'un pays que l'on ne voit jamais, tant dans ses territoires reculés que dans ses grandes villes. C'est le portrait d'une Amérique bipolaire qui oscille entre mélancolie face à ses mythes et surréalisme de la société contemporaine qu'elle a produite. Les images traduisent une Amérique qui vacille au-dessus du vide à une époque charnière de son histoire.

De New York à Los Angeles puis Portland, le photographe Jérôme Taub a traversé 21 Etats pendant 3 mois, parcouru 16 000 km en voiture, et 800 km à pied. Son itinéraire suit les traces des grandes pistes de développement économique et territorial des Etats-Unis : les cartographes Lewis & Clark, les premiers trappeurs via la « Vieille Piste espagnole », les colons qui affluaient sur les pistes de la Californie et de l'Oregon, les ruées vers l'or, le service postal du Pony Express, le premier chemin de fer transcontinental, la Lincoln Highway, première route à traverser le pays, ou encore la fameuse Cannonball Run des années 1970.
Les Interstate highways sont le symbole du mode de vie et du développement économique et culturel des Etats-Unis. Devenues le système sanguin du pays, ces autoroutes ont permis aux Américains d'asseoir leur domination sur le monde du XXème siècle. Aujourd'hui, elles symbolisent les changements que le modèle économique américain est censé effectuer au XXIème siècle afin de rester dominant. Mais au lieu de se réinventer face aux nouveaux fonctionnements de la société (vitesse de déplacement des individus, des produits et de l'information), à ses enjeux économiques et écologiques, les choix du gouvernement de Donald Trump montrent qu'a contrario, l'Amérique fait le choix de rester sur les acquis qui ont fait son succès au siècle passé.

Conçues et développées par Eisenhower à partir des années 1950, les interstates empruntent largement au dispositif autoroutier construit par Hitler en Allemagne dans le but de relancer l'économie et de faciliter le déplacement des troupes. Eisenhower en copie le modèle et le développe pour créer les bases de l'Amérique moderne, rapide, tournée vers l'avenir, convoquant à la fois les mythes fondateurs du dépassement des frontières et le projet d'une Amérique nouvelle. Pendant plus de 30 ans, elles sont ainsi au cœur du processus de développement économique et même touristique des Etats-Unis, favorisant le déplacement rapide des marchandises et des personnes sur l'ensemble du territoire, permettant le développement de grands centres urbains dont l'accès est largement facilité, assurant au pays une suprématie indéniable et faisant de lui un modèle organisationnel pour l'ensemble des pays occidentaux. Mais alors qu'il devait ne durer que 12 ans et coûter 25 milliards de dollars, le projet n'est toujours pas achevé et a déjà engagé 114 milliards de dollars de dépenses publiques.

Alors que sa construction semble interminable et que se posent déjà des problèmes d'entretien du réseau, ce projet est au cœur des contradictions d'une Amérique engagée dans un nouveau processus de mutation. La préservation de l'environnement, la réorganisation des centres urbains et périurbains, les nouvelles possibilités de déplacement rapide ainsi que le développement des transports en commun et notamment de l'avion, semblent en effet exclure la voiture du cercle vertueux des nouveaux modes de déplacements mettant ainsi les interstates à l'index, symbole emprunt de nostalgie du mythe déchu de l'American Way of life.

En revanche, ce projet semble porter étrangement en lui le potentiel d'un itinéraire bis, d'un « pas de côté », d'une manière de résister au flux d'une modernité ultra-rapide qui nie la possibilité de l'expérience du temps. Il rejoint en cela l'esprit d'une contre-culture symbole d'espoir et de liberté. Liberté du choix des déplacements, de l'expérimentation des lieux, des trajets et des relations humaines, dégagée de toute notion de but et d'efficacité.

Chaque année aux Etats-Unis, 2,8 milliards de kilomètres sont parcourus sur les interstates.

Itinéraire : New York ➤ Philadelphie ➤ Washington DC ➤ Baltimore ➤ Louisville ➤ Saint-Louis ➤ Kansas City ➤ Omaha ➤ Cheyenne ➤ Casper ➤ Deadwood ➤ Rapid City ➤ Pine Ridge ➤ Salt Lake City ➤ Provo ➤ Las Vegas ➤ San Bernardino ➤ Los Angeles ➤ San José ➤ San Francisco ➤ Palo Alto ➤ Sacramento ➤ Reno ➤ Salt Lake City ➤ Boise ➤ Portland.

© JÉRÔME TAUB / AGENCE ZEPPELIN





LE PHOTOGRAPHE JÉRÔME TAUB
Passant de collaborations avec les mondes de la mode, du luxe (Birks & Mayors, Bulgari, YSL) et de l'art (FIAC, Fondations, Festival de théâtre contemporain IN d'Avignon), à des collaborations avec les grands médias et les agences de presse renommées (Le Monde, The Herald Tribune, Paris Match, Globe & Mail, Gamma, Sipa), Jérôme développe une œuvre protéiforme et nomade qui emprunte tant au style documentaire, à la photographie humaniste, qu'à l'art contemporain ou à l'esthétique cinématographique.