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KRAMPUS DE LA PEUR À LA FÊTE
TYROL ET CARINTHIE, AUTRICHE  •  PHOTOS © VINCENT ESCHMANN / AGENCE ZEPPELIN
Chaque hiver, quand tombent les premières neiges, les ruelles du Tyrol et de la Carinthie s'emplissent de cloches, de cornes et de cris. Nés des croyances païennes, puis christianisés aux côtés de saint Nicolas, les Krampus et les Perchten symbolisent la lutte entre le bien et le mal. Plus effrayants que jamais, ces démons reviennent hanter les villages. Ils sont aujourd'hui les héros d'un folklore retrouvé, où la peur et la fête se confondent dans la mémoire collective.
Début décembre, alors que le froid s'installe doucement dans les vallées autrichiennes, d'étranges créatures font leur apparition : les Krampus et les Perchten. Ces êtres terrifiants surgissent à la tombée du jour dans un vacarme assourdissant pour défiler dans les rues, effrayer la population et éloigner les mauvais esprits de l'hiver. Longtemps considérées comme des traditions païennes et parfois interdites par l'Église catholique, ces coutumes retrouvent aujourd'hui un véritable engouement, aussi bien dans les villages reculés que dans les grandes villes. Bien que d'origines et de significations différentes, ces célébrations se rejoignent par leurs rituels et tendent à se confondre dans la culture moderne.
Les Krampus volent la vedette à saint Nicolas
Les Krampus sont imaginés comme des êtres mi-hommes mi-boucs, à la langue longue et pointue, aux sabots fendus et aux cornes recourbées. Leur figure s'est développée au Moyen Âge, avant d'être associée à la fête de Nikolaus à partir du XVIIe siècle. Saint Nicolas, évêque de Myre au IVe siècle, est désormais connu pour récompenser les enfants sages avec des friandises et des cadeaux, tandis que le Krampus, son double maléfique, punit les désobéissants.

Dans le folklore autrichien, les Krampus défilent traditionnellement dans la nuit du 5 au 6 décembre, lors de la Krampusnacht, veille de la Saint-Nicolas. Mais forts de leur popularité, ils n'apparaissent plus systématiquement en présence du saint, et possèdent leurs propres festivités qui se déroulent désormais tout au long du mois de décembre dans de nombreuses localités.

Les participants revêtent un effrayant costume, typiquement composé d'un masque en bois sculpté, souvent orné de longues cornes, d'une fourrure de mouton ou de chèvre noire ou brune, et de lourdes chaînes auxquelles sont fixées de grosses cloches qui résonnent sinistrement dans les rues. Des gants de cuir terminés par de longues griffes complètent l'apparence bestiale du personnage.
Axams, Tyrol, Autriche. Jonas Gutheinz fait visiter une pièce du domicile familial où il entrepose son costume de Krampus et les différents masques qu'il possède. Il y a une dizaine d'années, il a remplacé son costume en peau de bête pour un personnage plus sophistiqué inspiré des films d'horreur et de la musique metal qu'il affectionne. © VINCENT ESCHMANN / AGENCE ZEPPELIN
Les Perchten, héritiers d'une grande dame de l'hiver
Les Perchten appartiennent à une tradition païenne plus ancienne encore, liée aux rituels d'hiver des régions alpines. Leur nom provient de Perchta (ou Berchta), un esprit féminin du folklore germanique qui visite les foyers durant les douze nuits de Noël, les Rauhnächte, période de purification et de renouveau. En échange d'offrandes, elle apporte prospérité et abondance aux familles. Perchta serait inspirée de la déesse nordique Freyja, symbolisant la fertilité et la vie. Figure ambivalente, elle incarne à la fois le jour et la nuit, l'été et l'hiver, le bien et le mal.

Pour traduire cette dualité, on distingue les Schönperchten, beaux, colorés et bienveillants, et les Schiachperchten, laids et effrayants, chargés de chasser les mauvais esprits. Ces derniers arborent des cornes et des dents acérées, mais ils diffèrent des Krampus en cela qu'ils revêtent des costumes tissés de végétaux (Peaschtl), tels que de la paille ou des feuilles de maïs. Des cloches attachées à la ceinture rythment la marche et accentuent l'effet sonore du cortège. Ces défilés visent à purifier symboliquement la communauté et à marquer le passage de l'hiver à la nouvelle année.
Rattenberg, Tyrol, Autriche. À la nuit tombée, les Perchten du Bock Pass (la troupe de boucs) défilent dans les rues du village. Ici, les grosses cloches traditionnelles ont été opportunément remplacées par des réservoirs de carburant de voiture pour faire office de tambours. © VINCENT ESCHMANN / AGENCE ZEPPELIN
Le mélange des genres pour l'Avent
Si Krampus et Perchten diffèrent par leur origine, leurs figures se sont peu à peu rapprochées. Aujourd'hui, leurs cortèges se confondent souvent, témoignant d'un syncrétisme entre paganisme et traditions chrétiennes. Les valeurs de protection et de châtiment ont pris quelques rides, mais la dualité entre le bien et le mal semble perdurer. Modernisés au contact de la culture populaire – musique metal, science-fiction, films d'horreur – ces personnages font désormais partie intégrante des festivités de l'Avent en Autriche, où le sacré et le spectaculaire continuent de se côtoyer dans la neige et le vacarme des cloches.

Vincent Eschmann
LE PHOTOGRAPHE  VINCENT ESCHMANN
Photographe professionnel, Vincent témoigne de la richesse culturelle de notre monde. Il rapporte des histoires contemporaines avec l'espoir de sensibiliser aux enjeux identitaires auxquels sont confrontés de nombreux peuples. Né à Strasbourg, Vincent est passionné de voyages depuis son plus jeune âge, mais ses pérégrinations ont pris une autre intensité avec la photographie documentaire. Empreints de curiosité et de respect, ses sujets le guident aujourd'hui dans de nombreux pays à la rencontre de communautés et de leur histoire.