9 heures du matin, 12 novembre 2017. Patrick Wagnon, fourbu, pose son lourd sac à dos sur le sommet du Mera Peak, à 6400 mètres d'altitude, dans l'Himalaya népalais. Il fait -15°C. Cinq heures que le glaciologue de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) a quitté le camp de base installé mille mètres plus bas. Essoufflé par l'altitude, le chef de l'expédition prend quelques instants pour admirer l'incroyable panorama qui s'offre à lui : « Tout là-bas, on voit le Kangchenjunga, 8596 mètres, à la frontière indienne… Et là, en face de nous, c'est l'Everest ! »
Au ralenti, trois autres scientifiques terminent à leur tour cette interminable ascension, accompagnés de trois porteurs népalais. Ils participent au projet de recherche interdisciplinaire PRESHINE (Pressions sur la Ressource en Eau et en Sols dans l'Himalaya népalais), qui vise à comprendre comment le réchauffement climatique – plus marqué qu'en plaine – touche les glaciers et les sociétés de la région de l'Everest. Pendant que des géographes travaillent auprès des populations, les glaciologues partent à l'assaut des trois monstres glaciaires qu'ils ont choisis de suivre sur le long terme : le Mera, le Pokalde, et le Changri-Nup. Un véritable défi. « Dans cette chaîne de montagnes, les glaciers couvrent cinquante fois plus de surface que dans les Alpes ! Mais on les connaît mal, » explique Patrick Wagnon.
« Les premières données remontent à 1975, mais sont très fragmentaires… Nous fêtons cette année le dixième anniversaire des suivis sur le Mera, c'est la plus longue série de bilan de masse au Népal. » Car c'est bien la masse des glaciers qui intéresse les scientifiques dans ce contexte de changement climatique : une partie des villages d'altitude dépendent de l'eau de fonte pour survivre dans cette région hostile où la population permanente est perchée jusqu'à 4410 mètres d'altitude. « Malgré tout, nous avons déjà appris beaucoup de choses ! Notamment que ces glaciers ont perdu deux à trois fois moins de masse que la moyenne mondiale depuis 2000, ce qui remet en question les idées reçues. Globalement les glaciers de l'Himalaya maigrissent, mais en réalité les zones d'accumulation des grands glaciers d'altitude sont tellement élevées que ces derniers ne sont pas encore menacés. »
Dix ans de données, c'est plus que modeste comparé aux Alpes où certains glaciers sont suivis depuis 60 ans. L'alpiniste explique : « Si les données sont si rares, c'est parce qu'elles sont très dures à aller chercher ! Ce qu'on peut faire en quatre jours dans les Alpes, avec un hélico, prend deux semaines ici ! Il n'y a pas de route, et la nécessité de s'acclimater à l'altitude interdit l'hélico. Tout doit être porté à dos d'homme ou de yak ! » Pour être en mesure de travailler aujourd'hui durant plus de cinq heures à 6400 mètres, l'expédition a réalisé au préalable quinze jours d'acclimatation progressive à l'altitude. Pour un mois sur le terrain, trente-trois porteurs ont acheminé 700 kilos de vivres et d'équipements jusqu'à deux camps de base.
Fanny, jeune doctorante française, Arbindra, un étudiant népalais, puis Vincent, géomorphologue au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), rejoignent Patrick. Ensemble ils préparent leur arsenal : carottier, capteurs météo, balise d'accumulation, GPS… Avec ce dernier, ils mesurent l'écoulement du glacier et l'évolution de son épaisseur. Le carottier permet de déterminer la quantité de neige accumulée depuis l'année passée. Quant aux différents capteurs, ils vont équiper une station météo qui va rester sur place au moins un an. « Nous avons posé de nombreuses stations à différentes altitudes. Cette année, nous mesurons en plus la transformation directe de glace en vapeur et le transport de neige par le vent, qui impactent la variation de masse du glacier. » Autre nouveauté en 2017, un drone va permettre d'établir la carte en 3D la plus précise jamais réalisée sur un glacier.
14 heures. Patrick et Fanny bouclent leurs sacs à dos, le souffle court et les gestes lents. Leurs compagnons sont déjà redescendus, frigorifiés, épuisés. Après un dernier coup d'œil à la station météo qu'ils viennent d'ancrer dans la glace, les deux glaciologues attaquent leur redescente. Au loin, le vent décroche un immense panache de neige au sommet de l'Everest. Ils lèveront demain le camp en direction du toit du monde. A ses pieds dévale leur prochain site d'étude, le Changri-Nup, à six jours de marche du Mera Peak.
© THIBAUT VERGOZ
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