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VISHNU LA "MONA LISA" DU CAMBODGE
FRANCE, PARIS + CAMBODGE, SIEM REAP  •  PHOTOS © ANTOINE MERLET / AGENCE ZEPPELIN
Impassible, le Vishnu du Mébon occidental se refait une beauté en France. L'occasion d'en apprendre plus sur cette sculpture monumentale en bronze qui compte parmi les trésors archéologiques du Cambodge. Découvert en 1936 sur le site d'Angkor, ce voyageur du temps continue de passionner les scientifiques qui remuent ciel et terre pour retracer son origine. Des anciennes mines de cuivre aux artisans contemporains, en passant par la Fonderie royale qui l'a vu naître, le grand Vishnu reprend vie sous nos yeux.  LIRE LA SUITE
C2RMF, le bilan de santé d'une divinité

Été 2024, le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) s'attelle à l'étude technologique du Vishnu du Mébon occidental, découvert en 1936 à Angkor. D'une longueur estimée à plus de cinq mètres, la statue du XIe siècle constitue l'une des plus grandes sculptures en bronze jamais fondues en Asie du Sud-Est.

Le C2RMF est un laboratoire voué aux œuvres d'art. Rattaché au ministère de la Culture, ce service a deux missions : la recherche scientifique et la conservation-restauration. Depuis 1996, il s'intéresse aux techniques de fabrication des bronzes khmers, en collaboration avec le Musée national des arts asiatiques – Guimet. En 2016, un programme de recherche coordonné par l'École française d'Extrême-Orient (EFEO) consacre une nouvelle série d'analyses sur le Vishnu et ses fragments. Ces travaux ont mis en évidence les caractéristiques techniques suivantes : fonte à la cire perdue, découpage du modèle en cire en plusieurs sections, coulée primaire avec alliage de bronze à l'étain, assemblage mécanique et métallurgique, réparure avec plaquettes en cuivre et coulée secondaire, dorure au mercure intégrale, ou encore effets de polychromie au niveau du visage avec incrustations métalliques et minérales (sourcils, yeux, lèvres, moustache, barbe et cou).
[C2RMF, Paris, France] Elsa Lambert, radiologue du patrimoine au C2RMF, prépare la radiographie du Vishnu.





[C2RMF, Paris, France] La caisse contenant le principal fragment du Vishnu est ouverte en présence des scientifiques. « Le conditionnement semble parfait, mais ça va être délicat à démonter », prévient une experte du C2RMF.


[C2RMF, Paris, France] Les représentants du Musée national du Cambodge, du Musée Guimet et du C2RMF réalisent le constat d'état à l'arrivée des caisses contenant les 39 fragments du Vishnu. « Ici tout va bien », concluent-ils.
Encouragés par ces résultats, les scientifiques du C2RMF, du musée Guimet et de l'EFEO ont accueilli le Vishnu en France pour profiter de moyens analytiques plus poussés, en accord avec le Musée national du Cambodge. Le 24 mai 2024, le buste et les 38 autres fragments de la statue étaient livrés au C2RMF. Pendant 5 mois, plus de 40 chercheurs de différentes disciplines (métallurgistes, géologues, corrosionistes, etc.) se sont succédé pour les étudier, menant notamment des examens radiographiques et des analyses de surface. Ces travaux ont permis d'identifier les techniques de fabrication, de discuter du lieu de production et de l'origine du cuivre mis en œuvre, de donner des éléments pour la reconstitution virtuelle de l'aspect original de l'œuvre, et d'évaluer son état de conservation.


[C2RMF, Paris, France] Sreyneath Meas, archéologue au Ministère de la culture et des beaux-arts du Cambodge, spécialiste des bronzes angkoriens, examine des radiographies du Vishnu.


[C2RMF, Paris, France] Comme les 38 autres fragments du Vishnu, la main gauche est observée à l'aide d'un scanner 3D dont on distingue ici la frange rouge du laser.
Enquête dans les mines de Khvav

Janvier 2025, des archéologues conduits par l'École française d'Extrême-Orient (EFEO) prospectent les sites miniers de Khvav, à 60 km à l'est d'Angkor, dans le cadre du programme LANGAU. Cette zone présente un intérêt particulier en raison de la présence de cuivre, un matériau essentiel pour les artisans angkoriens. Il s'agit donc de trouver des traces d'anciennes exploitations minières.

Sur les recommandations du géologue Pierre Rostan, qui a identifié des zones prioritaires à explorer, une nouvelle campagne s'est déroulée sur la commune de Khvav, à l'est de la province de Siem Reap. Il s'agit d'une concession minière, aujourd'hui accordée à la compagnie australienne Continental Copper, et qui avait déjà été exploitée illégalement par une compagnie minière chinoise dans les années 2010. C'est là que les archéologues espèrent trouver des traces d'extraction pouvant correspondre à d'anciens gisements, aujourd'hui disparus. Renseignés par des images satellites, l'équipe a pu vérifier in situ si certaines anomalies étaient dues à des activités récentes ou à d'anciennes exploitations minières. Les chercheurs ont ainsi collecté des échantillons de minerai afin d'analyser son origine et son lien avec le cuivre utilisé à Angkor.
[Siem Reap, Cambodge] Ville moderne de 240 000 habitants, Siem Reap est le principal carrefour touristique pour Angkor, attirant chaque année plus de 2 millions de visiteurs. Avec quelque 400 hôtels et un aéroport, elle combine développement économique et culture locale, tout en restant un point de passage animé.





[Site minier de Khvav, province de Siem Reap, Cambodge] Les archéologues arpentent une halde (terril non spécifique) amoncelée dans les années 2010, mais qui pourrait dissimuler une exploitation minière plus ancienne. « Les anciennes haldes ont peut-être été repoussées pour faire place aux nouvelles. En archéologie minière, la gestion des stériles est aussi cruciale que le creusement lui-même », confie Brice Vincent, archéologue (ici à gauche).


[Site minier de Khvav, province de Siem Reap, Cambodge] Lors des prospections, différentes roches extraites de la mine ont été observées, avec un intérêt particulier pour celles contenant d'éventuelles traces de minerai. Divers échantillons ont été collectés afin d'analyser leur composition. Un outil spécifique a été utilisé pour réaliser ces prélèvements, notamment un marteau de géologue. Certaines roches semblaient contenir de l'oxyde de cuivre.


[Site minier de Khvav, province de Siem Reap, Cambodge] Sreyneath Meas, archéologue au Ministère de la culture et des beaux-arts du Cambodge, spécialiste des bronzes angkoriens, observe un fragment de roche qui pourrait contenir du minerai. « Il pourrait s'agir de pyrite, de chalcopyrite (sulfure de cuivre) ou encore d'oxydes de cuivre comme la malachite », avance l'archéologue.


[Site minier de Khvav, province de Siem Reap, Cambodge] Les échantillons sont placés dans des sachets en plastique en fonction des zones où ils ont été prélevés. Chaque zone est identifiée et enregistrée avec des coordonnées GPS pour faciliter leur localisation ultérieure. Cette méthode permet d'organiser les prélèvements et d'assurer un suivi précis des analyses à venir.
À une dizaine de kilomètres de là, au nord-est, un hameau suscite l'intérêt des archéologues : Phoumi La Ang, littéralement « le village des grottes ». Rendus sur place, les archéologues en ont appris davantage sur les ressources métallifères locales et les découvertes d'objets anciens. Un des habitants les a ensuite guidé jusqu'aux grottes, situées au sommet de la montagne. Il s'agissait pour les chercheurs de déterminer si les grottes étaient d'origine naturelle ou creusées par l'Homme.
[Site minier de Khvav, province de Siem Reap, Cambodge] Les véhicules 4x4 de l'EFEO franchissent un passage à gué pour se rendre à Phoumi La Ang, à une heure de piste plus au nord-est.





[Phoumi La Ang, province de Siem Reap, Cambodge] Les archéologues se sont rendus dans un hameau appelé Phoumi La Ang (littéralement « le village des grottes »). Sur place, ils en ont appris davantage sur les ressources métallifères locales et les découvertes d'objets anciens.


[Phoumi La Ang, province de Siem Reap, Cambodge] Guidés par un habitant, les archéologues ont quitté leurs véhicules pour continuer à pied. Ils traversent une végétation dense pour rejoindre une grotte située en haut de la montagne, à quelques centaines de mètres de là.
[Phoumi La Ang, province de Siem Reap, Cambodge] Brice Vincent, archéologue, a observé des traces de creusement arrondies contre les parois, semblant indiquer un abattage par le feu, une technique utilisée pour faire tomber les parois et accéder aux minéralisations. Bien qu'aucune minéralisation spécifique n'ait été trouvée, la forme des traces a attiré l'attention. Cette méthode génère généralement des plaques fines, donc l'équipe a aussi vérifié les zones en contrebas pour trouver de telles plaques.





[Phoumi La Ang, province de Siem Reap, Cambodge] Brice Vincent, archéologue, observe une pierre en contrebas d'une grotte. Il cherche à savoir si cette cavité est d'origine naturelle ou anthropique.


[Phoumi La Ang, province de Siem Reap, Cambodge] Dans le cadre d'une étude géologique, une pierre est analysée à l'aide d'un outil aimanté pour savoir si des éléments ferreux sont présents à l'intérieur.


[Phoumi La Ang, province de Siem Reap, Cambodge] Aucune trace archéologique n'a été trouvée au sein de la grotte, seulement des chauves-souris et des mues de serpents. « Les traces de son exploitation par l'Homme pourraient cependant avoir été recouvertes par les évolutions naturelles de la cavité. Mais comparativement à d'autres sites, comme à Phou Vap ou dans le sud du Laos, les indices archéologiques ne sont ici pas évidents », décrypte Brice Vincent.


[Phoumi La Ang, province de Siem Reap, Cambodge] Brice Vincent et les autres archéologues réalisent une étude géologique pour identifier les ressources métallifères sur les collines. Ils « ratissent » les zones où les géologues du programme LANGAU s'étaient arrêtés, cherchant des signes d'exploitation humaine ou d'érosion naturelle. En peu de temps, l'équipe a documenté ses observations à l'aide de photos, d'échantillons et de photogrammétrie.
EFEO, un pôle archéologique de référence

Janvier 2025, Siem Reap. Le Centre de l'École française d'Extrême-Orient (EFEO) conduit une équipe d'archéologues pour étudier les échantillons prélevés lors des fouilles en lien avec le Vishnu, une étape clé pour l'étude des vestiges d'Angkor.

Ce centre, le principal de l'EFEO au Cambodge, fonctionne comme une plateforme dédiée aux recherches en archéologie, mais aussi en histoire, histoire de l'art, épigraphie et anthropologie. Il offre aux missions archéologiques des infrastructures adaptées à la prospection de terrain et à l'analyse des objets mis au jour.
[Centre de l'EFEO, Siem Reap, Cambodge] La salle du centre est dédiée au travail de post-fouille. Les caisses en plastique contiennent du matériel archéologique appartenant à plusieurs projets, pas seulement à celui en cours. Le mobilier y est lavé, inventorié et photographié. On y trouve aussi une collection de céramiques de référence, incluant des pièces modernes fabriquées par des potières cambodgiennes.





[Centre de l'EFEO, Siem Reap, Cambodge] Après la campagne de fouilles sur le site de la Fonderie royale commence le travail d'analyse. Une grande partie du mobilier, notamment la céramique, a déjà été lavée. Il reste à nettoyer le mobilier métallurgique lié à la fonderie du cuivre et du fer. Des ouvriers expérimentés ont été sollicités pour aider à cette tâche fastidieuse.


[Centre de l'EFEO, Siem Reap, Cambodge] Le matériel archéologique est divisé en grandes catégories, notamment les fragments de tuiles et les céramiques khmères. On distingue aussi des céramiques importées et d'autres objets mélangés, comme une dent ou une scorie. Un tri est effectué pour bien répartir ces éléments. Chaque catégorie sera ensuite étudiée en détail.
Les fouilles menées par l'EFEO, en collaboration avec des institutions cambodgiennes, permettent d'étudier divers types de mobilier : céramiques (locales ou importées), tuiles, ainsi que des objets métallurgiques liés à la fonderie et au travail du cuivre et du fer. Ce matériel est soigneusement trié, nettoyé, inventorié, puis analysé avant d'être restitué aux partenaires cambodgiens. Un vaste recensement des trouvailles faites depuis 2012 à propos de la fonderie devrait bientôt être publié.


[Centre de l'EFEO, Siem Reap, Cambodge] Devant des céramiques préhistoriques, Eng Taula, archéologue, examine une scorie, avant de procéder à des coupes pour une analyse plus poussée.


[Centre de l'EFEO, Siem Reap, Cambodge] Un archéologue montre un exemple de céramique khmère plutôt tardive, XIII-XIVe siècles, avec ses décors assez caractéristiques.
L'EFEO est présente à Angkor depuis 1907, à l'époque du protectorat français, à travers la Conservation d'Angkor qui supervisait l'étude et la restauration des temples. Après l'indépendance du Cambodge en 1953, cette institution est devenue cambodgienne, bien que la direction scientifique soit restée sous supervision française jusqu'aux années 1970. Après une fermeture liée à la prise de pouvoir des Khmers rouges, le centre de recherche de l'EFEO a rouvert en 1992, reprenant ses chantiers archéologiques. Aujourd'hui, l'EFEO se concentre sur la recherche et l'analyse scientifique des vestiges khmers, consolidant son rôle de référence en archéologie et disciplines associées.


[Centre de l'EFEO, Siem Reap, Cambodge] Alexandre Longelin, archéologue, emploie un conformateur, une sorte de peigne aux dents coulissantes, pour dessiner les formes d'un tesson de céramique. Il réalise une thèse sur la céramique des fouilles du Palais royal d'Angkor Thom afin de mieux connaître la chronologie et les dynamiques socio-économiques de la capitale khmère. Récemment recruté par l'EFEO, son expertise est précieuse pour identifier les assemblages céramiques présents sur le site de la Fonderie royale.


[Centre de l'EFEO, Siem Reap, Cambodge] Brice Vincent, archéologue, complète ses travaux de recherche. Le programme LANGAU, qui signifie "cuivre" en vieux khmer, se concentre sur la métallurgie du cuivre à l'époque angkorienne. Il étudie les mines, les fonderies et les objets finis produits entre le IXe et le XVe siècle au Cambodge. Le bureau, ouvert en 2019, a progressivement accumulé des mobiliers ressemblant à un cabinet de curiosités. Ces objets sont temporairement conservés à l'EFEO pour étude.
Mébon occidental, un écrin pour Vishnu et Shiva

Installé à Angkor, au centre d'un immense réservoir d'eau, le Mébon occidental bénéficie d'une restauration complète pour stabiliser sa structure et mettre en valeur le site archéologique. C'est là qu'en 1936, la statue monumentale de Vishnu avait été retrouvée.

Le Mébon occidental se dresse au centre d'un immense réservoir sacré, le Baray occidental. Longtemps attribué à un autre roi, ce temple-îlot du XIe siècle fut récemment réattribué à Suryavarman Ier. C'est ici qu'en 1936, les fragments de la gigantesque statue en bronze représentant Vishnu couché ont été découverts. Après la Seconde Guerre mondiale, ce temple a fait l'objet d'une importante restauration grâce à l'École française d'Extrême-Orient (EFEO). Les fondations n'avaient alors pas été consolidées, mais cette restauration a permis de redécouvrir l'histoire du temple et de confirmer qu'il avait été partiellement reconstruit à partir de blocs réutilisés d'un édifice antérieur.
[Baray occidental, Angkor, Cambodge] Chaque matin, à 7h30, quelque 150 ouvriers traversent le Baray occidental en bateau pour aller travailler sur l'îlot du Mébon occidental. Ce sont eux qui restaurent le temple ainsi que le socle où a été découverte la grande statue en bronze de Vishnu.





[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge, 1936] La statue en bronze de Vishnu est mise à jour au sein des ruines du temple. Plusieurs fragments de la statue, détruite comme tant d'autres avant d'être rituellement enfouie, furent alors découverts. © Fonds EFEO


[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge, 1936] Le conservateur français Maurice Glaize (ici à droite) pose devant la statue en bronze de Vishnu qu'il vient de découvrir au niveau de l'îlot central du temple, dans le comblement d'une fosse maçonnée. © Fonds EFEO
En 2012, l'EFEO s'associe à l'Autorité nationale APSARA du Cambodge pour diriger un programme de restauration complète du Mébon occidental. Objectifs : stabiliser la structure et mettre en valeur le site. Après l'endiguement du site pour faciliter les travaux pendant la saison des pluies, les archéologues ont pu entamer les fouilles. Ils ont également démonté les gradins en pierre afin d'installer un massif de « terre armée ». Cette technique consiste à immobiliser le sol avec des grillages géotextiles, formant des sortes de matelas souterrains. Les blocs de grès, pavillons et murs d'enceinte ont ensuite été repositionnés sur ces fondations consolidées. Le socle du Vishnu en bronze est également en cours de restauration au centre du bassin central, accessible par une chaussée surélevée. Ce site unique illustre un aspect méconnu d'Angkor, centré sur la ritualisation de l'eau.


[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge, août 2011] Les derniers vestiges du temple menacent de s'effondrer. Le site avait déjà été restauré dans les années 1940, mais les fondations avaient été négligées. © Fonds EFEO


[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge, octobre 2012] Le chantier d'endiguement autour du temple est achevé. Les travaux de fouille, de restauration et de mise en valeur peuvent alors débuter. © Fonds EFEO
[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge] Le temple du Mébon occidental a été édifié sur une base carrée. Il est constitué de quatre murs d'enceinte, chacun d'environ 90 mètres, et jalonné de 12 pavillons (gopuras). À l'intérieur, des gradins sont orientés vers un bassin d'eau central où émergeait une plateforme accueillant la fameuse statue de Vishnu. Pour sa restauration, le temple a été endigué et un système de pompage a été mis en place pour permettre aux ouvriers de travailler pendant la saison des pluies.





[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge] Des ouvriers remontent le mur d'enceinte qui constitue le temple. Ils disposent de grues pour déplacer les pierres qui pèsent parfois plusieurs centaines de kilos.


[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge] Un technicien conduit une grande scie circulaire pour tailler une pierre préalablement marquée au crayon. De l'eau est projetée sur le disque pour le refroidir.


[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge] Au deuxième étage d'un pavillon (gopura), des techniciens échangent à propos d'une nouvelle pierre mise en place. Cette réplique sera taillée afin d'intégrer parfaitement la structure originelle. Les techniciens doivent tenir compte de l'alignement, des motifs, et des bas-reliefs présents sur les éléments voisins.


[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge] Au pied d'un pavillon (gopura), un technicien emploie un poinçon pour écorner les nouvelles marches d'un escalier en pierre. Cette étape succède à une coupe à la scie circulaire, ainsi qu'à un écornage plus grossier. Il s'agit de donner l'apparence d'une taille ancienne, en harmonie avec les autres éléments du site.
[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge] Des ouvriers travaillent autour de l'un des 12 pavillons sculptés (gopuras) qui jalonnent le mur d'enceinte. Celui-ci débouche sur la chaussée qui mène au centre du bassin.





[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge] Muni d'un marteau et d'un poinçon, un ouvrier écorne le bas-relief d'une nouvelle pierre fraîchement taillée. Il s'agit de donner l'apparence d'une taille ancienne, en harmonie avec les autres éléments du site. Cette restauration, qui permet de mettre en valeur les éléments originels, se doit d'être visible et réversible afin de ne pas flouer les futurs archéologues.


[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge] Deux architectes échangent pour rassembler des blocs de pierre retrouvés sur place. Architecte du patrimoine, Sarah Coudry (ici au centre) travaille à la restauration du Mébon occidental depuis mars 2024. Rattachée au Ministère des affaires étrangères et à l'Ambassade de France, elle collabore avec une équipe technique khmère et coordonne plusieurs missions sur le chantier.


[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge] Découvertes au centre du bassin, des pierres ont été numérotées avant d'être déplacées à l'extérieur du temple, là où des tests d'assemblage ont pu être réalisés. Elles constituaient le socle de la statue en bronze de Vishnu, laquelle reposait d'ailleurs sur quatre assises en pierre.


[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge] Des ouvriers déplacent des pierres pour reconstituer le socle du Vishnu. Les décisions sont prises en collaboration avec l'équipe technique, les experts français et l'architecte en chef Pierre Bortolussi. Olivier Cunin, expert international, apporte également son expertise.
Toutes les décisions concernant les restaurations d'Angkor sont présentées à l'UNESCO qui supervise ces chantiers. Deux fois par an, des comités de coordination permettent de discuter de l'avancement, des problèmes rencontrés et des solutions proposées. Lors du dernier comité, un artefact tubulaire a été présenté, avec des détails sur ses dimensions, forme et hauteur. Cet objet comportait un grain distinct, différent de celui des matériaux de construction, ce qui a d'abord permis de supposer qu'il s'agissait d'une statue de Vishnu. Mais les dernières analyses ont prouvé qu'il s'agissait plutôt d'une gigantesque lingam, c'est-à-dire une pierre vouée au culte de… Shiva ! Ce lingam mesurait 10 mètres de haut et était recouvert de métal, probablement de l'or. Il était certainement installé au centre du bassin du Mébon, avec à ses pieds la fameuse statue en bronze de Vishnu. Mais faut-il nécessairement dissocier les deux divinités ? Dans les récits mythologiques, Vishnu maintient l'équilibre de l'univers, tandis que Shiva le détruit et le transforme pour permettre une nouvelle création. En somme, il formeraient un duo complémentaire dans le maintien de l'ordre cosmique.

Quoi qu'il en soit, l'incertitude sur l'agencement du lingam pousse l'équipe à adopter une approche réversible en restauration. Ainsi, si de nouvelles découvertes sont faites dans plusieurs décennies, la présentation du site pourra être ajustée. Les décisions sont prises en collaboration avec l'équipe technique, les experts français et l'architecte en chef Pierre Bortolussi. Olivier Cunin, expert international, apporte également son expertise sur Vishnu et son aménagement. Cette approche scientifique garantit une restauration fidèle et adaptable aux avancées futures.


[Temple du Mébon occidental, Angkor, Cambodge] Coordinatrice de projet, Sarah Coudry montre le test d'assemblage des fragments d'un artefact tubulaire. L'incertitude quant à son agencement pousse son équipe à adopter une approche réversible en restauration. Si de nouvelles découvertes sont faites dans plusieurs décennies, la présentation du site pourra donc être ajustée.


[Angkor, Cambodge] L'assemblage des fragments rocheux retrouvés dans l'eau, à proximité du Vishnu en bronze, laisse à penser qu'il s'agit d'un lingam de 10 mètres de haut et 1 mètre de diamètre. « Ici, on perçoit un creux au centre de la structure, mais on ne sait pas encore à quoi il servait… peut-être à l'alléger », avance Sarah Coudry, architecte du patrimoine.
Chau Srei Vibol et son petit Vishnu couché

Le grand Vishnu du Mébon a un petit frère. Situé au temple de Chau Srei Vibol, à l'écart d'Angkor Thom, ce Vishnu a été sculpté dans la pierre à la même période que son homonyme en bronze. Un exemple inestimable pour les chercheurs qui veulent mieux comprendre le style de l'époque.

Érigé durant la première moitié du XIe siècle, le temple de Chau Srei Vibol est une démonstration importante de l'art khmer. Bâti au sommet d'une colline, à 17 kilomètres à l'est d'Angkor Thom, il était à l'origine cerné de douves constituant une sorte d'île artificielle. Ce temple n'a jamais été restauré, et les dernières structures en place se trouvent dans un état extrêmement précaire. Malgré cela, on peut encore y distinguer une représentation de Vishnu couché, un mythe classique que l'on retrouve fréquemment dans les bas-reliefs khmers, souvent sur des frontons et des linteaux. Mais tout l'intérêt de ce petit Vishnu réside dans le fait qu'il a été sculpté à la même période que la statue en bronze du Mébon. Il est donc l'exemple le plus proche de l'iconographie qui intéresse les chercheurs.
[Temple de Chau Srei Vibol, Angkor, Cambodge] Brice Vincent, archéologue, scrute l'intérieur d'une « bibliothèque » située au sud-ouest du temple et dédiée au dieu Agni. Il cherche d'éventuels débris de creusets en grès. À l'origine, ce type de bâtiment concentrait des inscriptions sur des stèles, des tablettes et des manuscrits sacrés relatifs à l'hindouisme et au bouddhisme. Il pouvait probablement avoir un rôle plus rituel, accueillant des cérémonies religieuses liées au savoir divin.





[Temple de Chau Srei Vibol, Angkor, Cambodge] Ce temple n'a jamais été restauré, et les dernières structures en place se trouvent dans un état extrêmement précaire.


[Temple de Chau Srei Vibol, Angkor, Cambodge] Brice photographie les ruines du temple. Il passe devant un Tetrameles nudiflora qui croît sur ce qui reste d'une fenêtre.
Le petit Vishnu couché est situé sur l'enceinte extérieure du temple, sur le fronton du pavillon ouest. Bien que le bas-relief soit fragmentaire et que l'on ne possède pas d'exemple en ronde-bosse, cette représentation reste précieuse pour comprendre le style et les pratiques de l'époque. La restauration de ce temple par anastylose, une méthode de reconstruction bloc par bloc, a permis de mieux observer la sculpture, même si la tête de Vishnu a été pillée. « Des photos d'archives montrent la statue complète de Vishnu avec sa tête, mais ce qui reste le plus intéressant est l'iconographie entourant la statue et la manière dont Vishnu était positionné dans ce contexte architectural », explique Brice Vincent, archéologue.


[Temple de Chau Srei Vibol, Angkor, Cambodge] Brice Vincent photographie la porte ouest (gopura) du temple.


[Temple de Chau Srei Vibol, Angkor, Cambodge] Détail du fronton de la porte ouest figurant un Vishnu couché.
Baphuon, un chantier semé d'embûches

Érigé vers 1060 au sein d'Angkor Thom, le temple de Baphuon a été entièrement restauré par les Français, non sans mal. Il aura en effet fallu plus d'un siècle pour solidement rebâtir ce puzzle de pierres, telle une fragile pyramide bâtie sur un tas de sable.

Situé au sud de l'enceinte du Palais royal d'Angkor, le Baphuon fait figure de temple-montagne dédié à Shiva. Érigé vers 1060, sous le règne de Udayadityavarman II (1050-1066) consolidant son pouvoir sur Angkor, il forme une pyramide de grès à trois terrasses. Son architecture est finement ciselée, ponctuée de gopuras (portes magistrales) dont les parois externes illustrent les grandes épopées indiennes.

Bâti sur un tas de sable, ce temple fut restauré de 1908 à 1918 par l'École française d'Extrême-Orient (EFEO). Trente ans plus tard, d'importants éboulements requièrent de consolider l'édifice avant de finalement décider de le démonter bloc par bloc en les numérotant. Cette opération, appelée « anastylose », durera 10 ans, avant d'être interrompue en 1971 par la guerre civile. En 1995, la restauration du temple reprend sous l'égide de l'EFEO. Entre-temps, les relevés et archives ont été détruits, tandis que la végétation a recouvert les quelque 300 000 blocs de grès qui avaient été auparavant déposés tout autour du temple. Un gigantesque puzzle qui prendra fin en 2011, grâce à un budget de 10 millions d'euros apportés par le Gouvernement français.

Son allure actuelle reflète celle du XVIe siècle, lorsque l'influence croissante du bouddhisme a transformé la vocation du site. Au sommet de la pyramide, les pierres écroulées du sanctuaire shivaïte furent déplacées et remodelées pour construire un gigantesque bouddha couché sur la façade ouest. Les archéologues contemporains ont décidé de conserver ce remaniement, témoignage d'une charnière entre deux cultures.
[Temple de Baphuon, Angkor, Cambodge] Accès oriental du temple, entre deux bassins en eau.





[Temple de Baphuon, Angkor, Cambodge] Face nord du temple.


[Temple de Baphuon, Angkor, Cambodge] Vue sur la porte orientale.
À une centaine de mètres du temple de Baphuon, au sein d'Angkor Thom, se trouvent les vestiges de la Fonderie royale, un témoin exceptionnel de l'artisanat du XIe siècle. Les archéologues estiment que c'est ici que le Vishnu du Mébon occidental aurait pris forme.

Unique au Cambodge, la Fonderie royale servait directement les besoins royaux et religieux, produisant des statues et objets pour les temples et la cour. Parmi les œuvres marquantes de cette époque, la fameuse statue de Vishnu se distingue, réalisée par des artisans spécialisés qui maîtrisaient des techniques de fonderie avancées. L'étude archéologique du site révèle des complexes de savoir-faire, notamment à travers l'analyse des matériaux comme l'argile et le noyau de la statue, confirmant qu'elle a été fondue sur place.


[Fonderie royale, Angkor, Cambodge] Les archéologues Brice Vincent, Eng Tola et Meas Sreyneath observent l'ancien site de fouille où a été retrouvé le mobilier qui est en train d'être analysé au laboratoire de l'EFEO. C'est sur ce site archéologique qu'un monastère bouddhique du XIIIe siècle a remplacé l'ancienne fonderie royale.


[Fonderie royale, Angkor, Cambodge] Sreyneath Meas, archéologue au Ministère de la culture et des beaux-arts du Cambodge, observe un bas-relief représentant une femme portant un panier sur la tête : « Ces blocs proviennent des terrasses royales, notamment celle du Roi lépreux. Ils ont été réutilisés et dispersés à divers endroits. »
Au cœur d'une fonderie contemporaine

Installée au sein d'Angkor, la fonderie d'Ith Sopheap répond aux commandes les plus prestigieuses. Les techniques et matériaux ont bien sûr évolué depuis l'Empire khmer, mais cette entreprise perpétue un savoir-faire ancestral qui intéresse justement les chercheurs.

Héritier d'une lignée d'artisans, Ith Sopheap est un maître fondeur renommé. Il a appris son métier à l'École des arts cambodgiens de Phnom Penh, à l'instar de son père avant lui. Cette continuité témoigne d'un attachement profond aux traditions, tout en s'adaptant aux exigences contemporaines. Installé dans le village de Pradak, au sein du parc d'Angkor, son atelier assure des commandes prestigieuses, notamment pour le Palais royal de Phnom Penh.
[Village de Pradak, Angkor, Cambodge] Une artisane trempe le modèle d'une statuette dans de l'eau. Ce geste, qui succède à la sculpture du modèle, permet de solidifier la matière cire-résine qui le compose, et d'éviter la fonte due au climat cambodgien.





[Village de Pradak, Angkor, Cambodge] Un artisan applique plusieurs couches fines de silicone liquide sur un modèle en cire-résine. Il doit veiller à bien couvrir chaque partie du modèle. Une fois le silicone durci, il obtiendra un moule souple et détaillé. Contrairement à l'usage traditionnel de l'argile, le silicone ne se fissure pas facilement et peut être réutilisé plusieurs fois (« procédé indirect »). Il est donc privilégié par les fondeurs contemporains.


[Village de Pradak, Angkor, Cambodge] Le procédé décrit implique l'utilisation d'un moule en silicone, qui permet de reproduire plusieurs fois une pièce, contrairement aux moules traditionnels en argile qui ne permettent qu'une seule fonte. Une fois le moule en silicone créé, il est rempli de cire, étape réalisée par l'artisan. Ce processus est qualifié de procédé indirect, car il offre la possibilité de refaire la pièce si des problèmes surviennent lors de la coulée.


[Village de Pradak, Angkor, Cambodge] Un artisan badigeonne un mélange de plâtre, d'argile et de fibre de verre pour recouvrir la cire, dès lors prise dans un « sandwich » réfractaire. C'est là l'une des pièces d'une statue en cuivre de 6,80 mètres, une œuvre qui a nécessité d'être découpée en morceaux pour faciliter la fonte. Chaque partie sera fondue séparément avant d'être assemblée.


[Village de Pradak, Angkor, Cambodge] Le moule est chauffé pendant plusieurs heures afin d'éliminer l'humidité et de permettre à la cire fondue de s'échapper. Lorsque le moule est suffisamment chaud, il est calé dans du sable pour stabiliser la structure. Le cuivre peut alors être versé dans les cônes de coulée. Les apprentis du maître fondeur s'affairent autour du moule.
Ce jour-là, l'atelier répond à une commande pour la province de Kampot : la statue en cuivre d'un moine bouddhique de 6,80 mètres, un projet inédit au Cambodge. Cette statue a été découpée en plusieurs morceaux pour faciliter la fonte. Chaque partie sera fondue séparément avant d'être assemblée. Ce processus permet de créer une œuvre imposante tout en optimisant la précision.

La fonderie, d'une ampleur exceptionnelle, intègre toutes les étapes de production, ce qui en fait un modèle rare au Cambodge. Depuis 2008, les chercheurs suivent l'évolution de cette entreprise, comparant ses pratiques actuelles avec celles des artisans angkoriens. Si les techniques et matériaux ont changé au fil du temps, certains éléments demeurent inchangés : l'usage de la cire ou encore la gestion de l'espace et des déchets. À travers cette étude, c'est une part de l'histoire artisanale du Cambodge qui se révèle, entre préservation du passé et innovations modernes.
[Village de Pradak, Angkor, Cambodge] Les fondeurs alternent pour porter les creusets chauds, remplissant les orifices du moule avec le bronze en fusion, à 1085°C.





[Village de Pradak, Angkor, Cambodge] Le remplissage des moules réfractaires dure une demi-heure, nécessitant des pauses pour ralentir la coulée et éviter l'explosion du moule.


[Village de Pradak, Angkor, Cambodge] Brice Vincent et Meas Sreyneath, archéologues, photographient le va-et-vient des fondeurs afin de comprendre la fabrication d'une statue.
[Village de Pradak, Angkor, Cambodge] Les grandes statues sont souvent fabriquées en plusieurs éléments plutôt qu'en une seule pièce, et ce, pour gagner en précision. Des techniques modernes, telles que la soudure et le polissage à la meuleuse, sont utilisées pour leur réalisation. Après l'assemblage, un travail de finition minutieux est effectué pour obtenir un rendu poli et soigné. Ces procédés témoignent de l'évolution des méthodes de fabrication des sculptures.





[Village de Pradak, Angkor, Cambodge] Un artisan reprend un décor par un travail de ciselure, afin de faire ressortir les motifs sur la surface. Ce décor avait été initialement réalisé en cire détaillée, mais après la fonte, il n'est pas ressorti aussi net, et il était nécessaire de le reprendre.


[Village de Pradak, Angkor, Cambodge] Douze statues de généraux angkoriens ont été réalisées pour le jardin du Palais royal de Phnom Penh. Ces œuvres, réalisées en ronde-bosse, ont été créées grâce à la collaboration du fondeur avec des historiens-chercheurs afin d'identifier les généraux.
Le martelage : un artisanat en héritage

À Siem Reap, un artisan martèle le cuivre selon une tradition millénaire, celle de façonner de beaux objets, et d'orner les monuments et statues khmers. Son savoir-faire de cet artisan constitue un témoignage pour les chercheurs qui étudient la mise en valeur originelle des temples.

Installé dans la banlieue nord de Siem Reap, entre un hôpital et un fastueux complexe hôtelier, un couple d'artisans produit d'innombrables objets décoratifs, plus rutilants les uns que les autres. Loin d'un vulgaire attrape-touristes, le Sam Orn Silver Handicraft Souvenir Shop perpétue une tradition millénaire : le martelage du cuivre. Spécialiste du façonnage des métaux précieux, Sam Orn s'inscrit dans un héritage venu du nord de Phnom Penh, une région autrefois célèbre pour son artisanat d'argenterie. Cette tradition, qui prospérait avant la guerre, était même un élément des cadeaux diplomatiques du Cambodge.
[Siem Reap, Cambodge] Sam Orn, artisan batteur, procède à un recuit pour faciliter le façonnage des pièces. L'objectif de cette chauffe est d'attendrir le cuivre pour mieux le marteler.





[Siem Reap, Cambodge] Sam Orn, artisan batteur, possède un outillage simple pour façonner de petites coupes en métal. Il emploie un marteau et une petite enclume de forme qu'il coince derrière son genou. Ce procédé rappelle les techniques européennes de dinanderie.


[Siem Reap, Cambodge] Une artisane réalise un décor complexe sur un grand bol en laiton appelé phtel. Elle s'inspire d'un modèle en papier avant de reproduire les motifs sur l'objet à d'un petit marteau et divers poinçons. Chaque poinçon, de type différent, permet de repousser un décor spécifique.
Aujourd'hui, ce savoir-faire intéresse les chercheurs, notamment Sreyneath Meas, doctorante à l'université de Nanterre, qui étudie les techniques de martelage du cuivre et de ses alliages dans une approche ethnoarchéologique. L'artisan et son épouse lui offrent donc une précieuse fenêtre sur les gestes ancestraux, car leurs outils et méthodes sont identiques à ceux utilisés dans les villages d'origine des batteurs de cuivre.

Le martelage du cuivre a également une vocation architecturale. Contrairement à la fonte, utilisée pour fabriquer des statues comme celle de Vishnu en bronze doré, le martelage permettait de recouvrir des structures en pierre de plaques métalliques précieuses. Ainsi, certaines parties des temples khmers, aujourd'hui en pierre nue, étaient autrefois ornées de cuivre doré. L'étude des savoir-faire artisanaux éclaire ainsi la richesse des techniques employées dans l'ornementation des monuments et statues khmères.


[Siem Reap, Cambodge] Sam Orn, artisan batteur, et Meas Sreyneath, doctorante à l'université de Nanterre, échangent à propos des techniques de fabrication d'un bol. Il s'agit pour l'archéologue de comprendre comment certains motifs ont été faits, avec quel type de poinçon.


[Siem Reap, Cambodge] Le Sam Orn Silver Handicraft Souvenir Shop perpétue une tradition millénaire : le martelage du cuivre. Cette entreprise familiale propose également bon nombre d'objets en argent. L'argenterie khmère est d'ailleurs réputée et sert régulièrement pour les cadeaux diplomatiques.
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LE PHOTOGRAPHE  ANTOINE MERLET
Photoreporter indépendant, Antoine travaille pour la presse régionale et nationale. Après avoir donné des cours de sport pendant cinq ans, il s'est engagé dans le journalisme, orientant ses travaux vers les luttes sociales. Il aime prendre le temps de comprendre un sujet avant de s'y engouffrer. Exposé aux Rencontres d'Arles en 2017, à la Galerie VU' en 2020, et projeté au festival Visa pour l'image en 2021, il sait sortir de sa zone de confort pour travailler avec des rédactions comme M Le Monde, Télérama, Le Figaro, Libération, La Croix, ou encore Vice.