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FAIRY CREEK LA GUÉRILLA DES BOIS
ÎLE DE VANCOUVER, COLOMBIE-BRITANNIQUE, CANADA  •  PHOTOS © NICOLAS MATHYS / AGENCE ZEPPELIN
Stopper l'exploitation industrielle des forêts primaires canadiennes, c'est le leitmotiv des activistes qui se regroupent dans les montagnes pluvieuses de l'île de Vancouver. Là où des arbres pluriséculaires sont abattus en coupe rase, les militants barrent la route aux bûcherons pendant quelques heures, parfois quelques jours. Une désobéissance civile qui rejoint la lutte des communautés indigènes pour la reconnaissance de leurs terres ancestrales. Derrière les apparences bucoliques d'une nature foisonnante et préservée, une vague contestataire s'élève ainsi à travers le Canada. Elle répond aux conséquences directes du colonialisme qui se perpétue sous couvert économique.
[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Sur ce qui était auparavant une parcelle de forêt primaire aujourd'hui exploitée par l'industrie, des robes rouges ont été étendues par les défenseurs des terres Pacheedaht-Ditidaht. Ces robes témoignent de toutes les femmes indigènes assassinées ou portées disparues dans l'histoire canadienne, et dont les coupables n'ont jamais été inculpés. Une conséquence du colonialisme sur les populations indigènes.





[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Des membres « blancs » du collectif Elders for Ancient Trees, une association de séniors écologistes, se rassemblent autour d'un membre indigène, Chiyokten. Une cérémonie de bienvenue est organisée sur les terres Pacheedaht : chants, témoignages et présents sont échangés. Ensemble, ils célèbrent la connexion des peuples indigènes à la terre, à l'écosystème qui les entoure. Parvenus en bus, ils apportent aussi des vivres, des vêtements et divers équipements pour l'ensemble de la communauté activiste.


[Victoria, Colombie-Britannique, Canada ] En octobre 2021, alors que l'Assemblée législative de Colombie-Britannique s'interroge sur l'exploitation des forêts primaires dans la province et sa potentielle suspension, et face au manque de décision concrète, des activistes décident de bloquer les portes du bâtiment durant la session. Baptisée « Cookie », la souche d'un arbre millénaire aujourd'hui abattu obstrue l'une des entrées. À gauche sur une pancarte, on peut lire en anglais : « Les peuples autochtones méritent des indemnités, pas des petits pots-de-vin ».


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Fauna participe au blocage d'une route forestière via une structure en hauteur appelée « tripod » et à laquelle un activiste s'est enchaîné pour empêcher la police de simplement raser le barrage. Certains utilisent parfois des « dragons », des tuyaux dans lesquels ils passent leurs bras avant de les recouvrir de béton dans le but de s'enchaîner plus durablement à la structure. De nombreux défenseurs de la zone exercent le visage masqué pour cacher leur identité. Dans les camps également, personne n'utilise son vrai nom, préférant employer un surnom souvent inspiré de la faune ou de la flore.


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Un photographe documente l'impact sur un cours d'eau d'un abattage réalisé sans précaution. De son côté, le chef héréditaire des Kwakiutl, David Mungo Knox, préconise de préserver une zone d'au moins 200 mètres autour des rives de chaque cours d'eau. Ici, l'abattage des arbres risque de provoquer le réchauffement de l'eau, voire d'obstruer son cours. Or ces petites rivières sont importantes pour la faune, notamment pour la reproduction des saumons. Cet animal est un maillon crucial dans la biome de ces territoires et le principal composant de la diète des populations indigènes depuis des millénaires.
[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Deux jeunes membres actifs des protestations de Fairy Creek viennent se recueillir sur un Thuya géant (Thuja plicata) millénaire surnommé le « Grand Father Tree » qui s'élève sur une parcelle jusqu'à maintenant sauvée. Ce type de forêt tempérée humide abrite la plus forte densité de biomasse de tous les écosystèmes terrestres, emmagasinant plus de 1300 tonnes de CO2 par hectare.





[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Otter récupère de l'eau dans un ruisseau. Elle remplira plusieurs bidons avec son groupe pour approvisionner « Ridge camp ». Lorsque il n'y a pas d'actions directes avec la police ou l'industrie, les campements s'organisent tranquillement, chacun participant à la vie en communauté, en se portant volontaire pour des tâches quotidiennes ou en améliorant les structures déjà en place.


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Après avoir démarré le générateur à essence, Otter met en place une antenne Starlink avec précaution. Installée dans un campement isolé, elle peut ainsi communiquer avec le monde extérieur. Outre équipements, vêtements et nourriture, le mouvement contestataire reçoit de nombreuses donations d'individus ne pouvant pas intervenir directement. Ce soutien permet d'acquérir du matériel spécifique.


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Molecule et Babayaga se retrouvent pour un café et une cigarette matinale. L'occasion d'échanger histoires et ressentis avant de se consacrer sur les tâches du jour. Très hétéroclite, le mouvement regroupe des mineurs et des plus de 60 ans, des indigènes et des non-indigènes, des gens de tout le pays, mais aussi des États-Unis, d'Amérique du Sud, d'Europe, de confessions variées, LGBTQ2S+… La pluralité est assumée, encouragée même ; une nation arc-en-ciel, soudée par une lutte commune.


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Sunflower profite d'un moment d'accalmie pour dessiner. Lorsque le quotidien n'est pas bercé par les activités du camp ou des actions face à la police ou l'industrie forestière, et tandis que les coupes à blanc défigurent les montagnes et détruisent les écosystèmes, beaucoup s'adonnent à des créations artistiques : dessin, sculpture ou chant par exemple.


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Bonedog grimpe dans un Thuya géant (Thuja plicata) à l'aide d'une corde et d'un système autobloquant. Elle rejoint une plateforme installée à mi-hauteur pour empêcher d'éventuels abattages. Les activistes occupent régulièrement ce type de structure rudimentaire où ils peuvent s'abriter nuit et jour en autonomie. Certains y restent même plusieurs semaines sans redescendre. Si besoin, une équipe au sol peut ravitailler l'occupant via la corde, tant que la police ne l'en empêche pas.


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] À l'approche d'un hélicoptère, les activistes se dissimulent sous d'énormes bâches tendues entre les arbres. Les hélicoptères sont soit de la police, soit de l'industrie forestière. Ces derniers ne pouvant pas accéder par les routes qui sont bloquées par le mouvement contestataire, tentent d'héliporter des bûcherons. Les activistes se cachent donc des hélicoptères pour les laisser atterrir, et ensuite, tenter d'empêcher les bûcherons de travailler. Au sol, un bûcheron actif coupe un arbre toutes les 5 minutes.
[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Un hélicoptère de la Gendarmerie royale du Canada (ou RCMP) approche des camps activistes installés dans la montagne. Situées en milieu tempéré humide, les forêts de conifères sont appelées « rainforest » car la pluviométrie y est très abondante. La police doit souvent attendre des conditions optimales avant de faire voler ses hélicoptères et d'intervenir.





[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Un officier de police d'une unité d'intervention tactique de la Gendarmerie royale du Canada (ou RCMP) interroge une jeune activiste sur les activités et la vie du camp. Ici, la conservation dans l'eau de lanières de Thuya géant (Thuja plicata) interpelle l'agent, ce à quoi elle répond que c'est pour confectionner ultérieurement des bracelets ou des paniers.


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Un policier instaure une zone d'exclusion pour empêcher aux défenseurs environnementaux de retourner à « Heli Camp » pendant que le reste du peloton démantèle les infrastructures. Ils n'ont eu que 20 minutes pour emporter un minimum d'affaires avec eux.


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Impuissants, un couple d'activistes observent la destruction de leur camp par la police. Non sans ironie, ils répondent en se déshabillant, riant et chantant. Et même si le sang froid se perd parfois dans les mots, en toute circonstance, le mouvement contestataire reste pacifique et non violent.


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Une unité tactique de la Gendarmerie royale du Canada (ou RCMP) spécialisée dans la lutte contre l'activisme environnemental procède au démantèlement de la cuisine et de la pièce à vivre du campement. Nourriture, eau, équipement, vêtements, bois de chauffage sont saisis ou détruits.
[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Devant un portail, un groupe de défenseurs environnementaux utilise une voiture pour entraver la route principale qui mène à Fairy Creek. Le mouvement doit constamment imaginer de nouveaux stratagèmes pour perturber, ralentir ou stopper l'exploitation industrielle des forêts primaires.





[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Tandis qu'une rave party est organisée dans la forêt pour leurrer la police, un petit groupe d'activistes installe une voiture pour barrer la route principale qui mène à Fairy Creek. Ensuite, tous convergent autour du véhicule pour célébrer, chanter, et danser. L'émulation générale empêche momentanément les policiers d'intervenir.


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Une jeune femme est coincée à l'intérieur d'une voiture qui entrave la route principale menant à Fairy Creek. Son bras, qui passe au milieu de la portière, est enchaîné dans un bidon garni de ciment. Surnommée « dragon », cette entrave ralentit l'industrie forestière pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours, selon la complexité du blocus.


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] « Je ne comprends pas pourquoi les personnes se considérant comme défenseurs des terres locales ne tentent pas de transformer légalement cette région en parc, plutôt que d'organiser des blocages ! » s'exclame un policier. Ce à quoi l'activiste rétorque : « Vous ne saisissez pas la vision globale de nos actions. Plus que de protéger ces arbres-là, il s'agit de stopper toutes formes d'exploitation des forêts primaires, et ce, tandis que des solutions forestières plus durables existent ! »


[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Indigène, Bill Jones se confronte à un policier alors qu'il s'est vu peu de temps auparavant interdire l'accès à ses propres terres. Aîné de la nation Pacheedaht, c'est-à-dire qu'il est un leader dépositaire des connaissances et traditions Pacheedaht, Bill Jones s'oppose à la destruction des lieux sacrés de son peuple et souhaite une meilleure gestion des ressources.
[Fort Rupert, Colombie-Britannique, Canada] Principal chef héréditaire des Kwakiutl, David Mungo Knox se penche sur la souche d'un arbre millénaire abattu sur les terres de son peuple. Ici, moins de 10% d'une parcelle sont laissés intacts, un chiffre insignifiant quand, plus que des arbres, c'est tout un écosystème – sol compris – qui est dévasté aux alentours. Face à l'impact sur les bassins versants, crucial pour la reproduction des saumons, David s'est adressé aux gouvernements provincial et fédéral pour suspendre toute exploitation forestière sur les terres Kwakiutl, qu'il s'agisse d'une forêt primaire, secondaire et au-delà, car « il s'agit avant tout des terres traditionnelles de son peuple ».





[Fairy Creek, Colombie-Britannique, Canada] Fairy Creek est un bassin hydrographique capital, puisqu'il s'agit de l'une des dernières forêts humides tempérées qui aient été préservées de l'industrie forestière dans l'Ouest canadien. Aujourd'hui cependant, les pratiques forestières locales ne prennent pas en considération l'écosystème entier, ni même seulement les sols. Ici, un écriteau militant interroge en anglais : « Qu'est-ce qui vous donne le droit d'abattre des arbres plus anciens que la société occidentale ? »


[Fort Rupert, Colombie-Britannique, Canada] Pour son peuple Kwakiutl, Andrea réalise un inventaire anthropologique des forêts des cinq bassins versants qui composent les terres de la nation. Elle se concentre sur les usages traditionnels de la forêt, recherchant principalement des « arbres modifiés culturellement » qui témoignent de la présence ancienne de son peuple dans ces forêts. Des traces d'activités humaines Kwakiutl remontant à près de 13 000 ans ont ainsi été recensées autour des villes de Port Hardy, Fort Rupert et Port McNeil.


[Fort Rupert, Colombie-Britannique, Canada] Stan, maître sculpteur parmi les Kwakiutl, confectionne un totem à partir du tronc d'un Thuya géant (Thuja plicata) à la même manière de ses ancêtres. Le totémisme tient une place particulière dans les cultures côtières des populations indigènes. Une famille y représente les esprits du royaume animal auquel elle est liée : « À la différence des sciences occidentales où tout est dissocié, dans le totémisme nous ne sommes qu'un, nous sommes les poissons, nous sommes les arbres, tout est connecté, » explique-t-il. Mais la transmission de cet héritage est aujourd'hui compliquée.


[Fort Rupert, Colombie-Britannique, Canada] Principal chef héréditaire des Kwakiutl, David Mungo Knox en habit traditionnel présente son travail. Il s'agit d'une tête d'aigle, un des animaux totémiques de sa famille, peinte sur un tambour réalisé à partir de la peau de tête d'ours. Dépositaire des traditions de son peuple, David prend son rôle très à cœur et donne à sa communauté (notamment nourriture) sans attendre en retour. C'est le concept du potlatch, une pratique culturelle ancestrale, initialement bannie en 1921 par le gouvernement fédéral et l'Église, aujourd'hui réinstaurée.
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LE PHOTOGRAPHE  NICOLAS MATHYS
Aventurier et passionné d'explorations, Mathys, comme il se fait appeler, s'intéresse aux milieux montagneux et polaires, et ce, depuis une expédition autonome en Islande. Ces dernières années, la découverte des étendues sauvages canadiennes, où il a été formé comme « guide de plein air », lui a permis de rencontrer les populations autochtones nord-américaines : les Premières Nations. Désormais installé dans le Sud-ouest de la France, il partage son temps entre les Pyrénées et le reste du monde.