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BORANA LA BRÛLURE DU CIEL
ZONE DE BORANA, ÉTHIOPIE  •  PHOTOS © LUCIEN MIGNÉ / AGENCE ZEPPELIN
Un peuple sans empreinte carbone fait face à la sécheresse. Depuis 2020, les Boranas voient leurs bêtes mourir de faim et de soif. Installés au sud de l'Éthiopie, ils sont contraints de quitter leus terres, leurs maisons, et de rejoindre des camps humanitaires. Aujourd'hui, ces agriculteurs se tournent vers les mines d'or et l'extraction du sel, deux activités dangereuses qui ternissent leur avenir. Pour regagner une vie pastorale, il ne leur manque pourtant que la pluie.  LIRE LA SUITE
[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Deux femmes boranas et leurs enfants rejoignent le camp où elles ont trouvé réfuge. En 2023, dans la zone de Borana, on estimait à 260 000 le nombre de réfugiés climatiques vivant dans des camps pour personnes déplacées.





[Dembalabuyo, Éthiopie] Des 150 Boranas qui habitaient ce village, il n'en reste plus qu'une vingtaine. La plupart sont partis en 2021 en raison de la sécheresse qui a tué les 580 bovins du village (et 90 % du cheptel des Boranas). Quittant leur vie pastorale, ils se sont installés dans le camp pour personnes déplacées d'El Soda.


[Dembalabuyo, Éthiopie] La famille Daro Karou a quitté sa maison en 2023. Comme eux, bon nombre de villageois ont abandonné leurs terres pour rejoindre les camps pour personnes déplacées d'El Soda et de Dubuluk. Certains hommes ont préféré rejoindre la mine d'or de Dabel, de l'autre côté de la frontière kényane.
UN CHEPTEL DÉCIMÉ
[Dugdudima, Éthiopie] Dans le village de Dugdudima en partie déserté par ses habitants, un abri qui servait autrefois pour le bétail est resté à l'abandon. Depuis 2020, la grande saison des pluies (ganaa), entre mars et mai, et la petite saison des pluies (hagayya), entre septembre et octobre, ont disparu. L'année 2024 est la cinquième année de sécheresse consécutive dans la Corne de l'Afrique, du jamais vu depuis le début des premiers relevés pluviométriques en Éthiopie.





[Camp pour personnes déplacées de Moyale Dambi, Éthiopie] Aidés de leurs voisins, Wako Gemo, 85 ans, et sa femme Buke Wako Gemo, 60 ans, construisent un nouvel abri pour eux et leurs 8 enfants. Constitué de branches nouées et de paille, cet abri nécessitera près d'une semaine pour être achevé. Environ 3000 personnes vivent dans ce camp supervisé par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).


[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] À l'entrée de la clinique du camp, qui abrite 28 000 réfugiés climatiques boranas (en août 2023), le médecin Wandim Aguegno et son assistante Elema Debano parcourent la liste des personnes soignées pour cause de malnutrition. Il est estimé que sur les 800 000 personnes ayant un besoin d'aide alimentaire urgent dans la zone de Borana, 250 000 en sont privés.
DES RÉFUGIÉS CLIMATIQUES
[Camp pour personnes déplacées d'El Soda, Éthiopie] Une habitante du camp remplit son bidon d'eau avant de le porter jusqu'à chez elle. Le travail qui concerne l'eau et le bois pour cuisiner est généralement attribué aux femmes.





[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Gilo Abduba porte sur son dos un de ses 8 enfants. Avec son mari Roba Walde, 65 ans, ils sont venus à pied du village d'Okole, situé à 37 kilomètres, après avoir perdu à cause de la sécheresse 37 bovins et vendu 30 chèvres. Elle explique : « Quand la sécheresse a commencé, nous avons essayé de déplacer le troupeau pour nous rendre dans des zones plus humides. Mais les mares et les puits traditionnels étaient partout à sec. Nulle part il ne pleuvait. »


[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Dabasso Godano, 78 ans, et sa femme Gilo Dabasse, 50 ans, ont abandonné leur village Boruadale en 2022 pour aller vivre avec leurs dix enfants dans un camp. Leur troupeau, qui était composé de 120 bovins et 100 chèvres, a été entièrement décimé par la sécheresse. Ils expliquent : «Nous vivions très bien auparavant, notre troupeau était toute notre richesse. À présent, nous avons tout perdu. Mais un jour, nous rachèterons du bétail, et nous reviendrons chez nous. »
DES CÉRÉALES TROP RARES
[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Près du camp où il vit, Alake Boru nettoie le teff, une céréale typique de la corne de l'Afrique, à l'aide de sa fourche. Employé par un exploitant agricole de la ville de Dubuluk, il gagne 200 birrs (3 euros) par jour. Bon nombre de Boranas qui vivaient du pastoralisme avant la sécheresse travaillent aujourd'hui dans les exploitations agricoles qui entourent les camps pour personnes déplacées.





[Camp pour personnes déplacées d'El Uaie, Éthiopie] Sous le regard de ses filles et ses petites-filles, Boko Ramolo nettoie des grains du maïs qu'elle a fait pousser dans le camp. Issue du village de Bule Golo, il ne lui reste qu'une seule de ses 60 vaches, ainsi que 7 chèvres.


[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Gargalo Guyo Kote tient dans sa main les grains de blé avec lesquels elle s'apprête à préparer l'ashira, un plat traditionnel borana. « Depuis deux ans, le prix du blé a doublé. C'est très difficile de nourrir ma famille », explique-t-elle.
ALTERNATIVE 1 : LE CHARBON
[El Soda, Éthiopie] Gargalo Wario Goldcha, 25 ans et sa femme Unity Wario Goldcha, 22 ans, rentrent au camp pour personnes déplacées d'El Soda après avoir récupéré le charbon de bois qu'ils avaient mis à brûler sous terre la veille. Ils déplorent : « Au début, nous avons reçu de l'aide de la part de nombreuses ONG. Mais depuis le mois de mai 2023, ces aides se sont arrêtées. Nous n'avons pas assez de nourriture. »





[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Massou Gargalo, 50 ans, découpe à la hache le bois qu'elle est allée ramasser autour du camp. Elle le vendra ensuite par fagots le long de la route nationale qui traverse le camp, au prix de 150 birrs (2,5 euros) pièce.


[El Soda, Éthiopie] Un jeune couple met en sac le charbon qu'il proposera au village : « Avant, les Boranas ne vendaient pas de charbon. Dans notre culture, le capital c'est le troupeau », explique Gargalo dont la famille a perdu son cheptel (plus de 100 vaches, 50 chèvres et 3 ânes).
ALTERNATIVE 2 : LE SEL
[El Soda, Éthiopie] Un travailleur du sel remonte la pente d'un cratère volcanique avec ses mulets chargés de sacs de sel noir récupéré dans le lac en contrebas. De nombreux hommes boranas ayant perdu leur troupeau à cause de la sécheresse effectuent ce travail difficile, en particulier entre les mois de janvier et mars pendant lesquels l'extraction du sel blanc, le plus cher, est facile en raison de la chaleur. Des milliers de personnes venues des alentours descendent alors quotidiennement dans le cratère.





[El Soda, Éthiopie] Adissou, 25 ans, récupère de la boue de sel noir sur la berge du lac situé dans le cratère d'El Soda. Il confie : « Je n'apprécie pas ce travail, il est difficile et dangereux. Je préférais ma vie d'éleveur, au village. »


[El Soda, Éthiopie] Gargalo Gababa et Jarso Gofu ramènent sur la berge la boue de sel noir récupérée par Adissou au fond du lac du cratère d'El Soda. Pour ce travail, ils sont rémunérés 250 birrs (4 euros) par jour.


[El Soda, Éthiopie] Adissou s'apprête à plonger pour récupérer le sel stagnant au fond du lac. « En 2021, lorsque la dernière de mes 25 vaches est morte à cause de la sécheresse, j'ai quitté mon village avec ma femme enceinte pour venir travailler ici », explique-t-il.


[Dubuluk, Éthiopie] Un homme montre quelques grains de sel blanc récoltés dans le lac du cratère d'El Soda. Depuis le début de la sécheresse en 2020, de nombreux Boranas ont commencé à produire du sel, qui demeure une source de revenu importante dans la région.
ALTERNATIVE 3 : L'OR
[Mine d'or de Dambi, Éthiopie] Un orpailleur emmène ses mulets à la source du cours d'eau asséché pour y prélever de l'eau qui servira à séparer l'or de la terre. Les travailleurs, qui sont pour la plupart d'anciens éleveurs boranas ayant perdu leur bétail, dorment sur place dans des tentes spartiates qu'ils construisent.





[Mine d'or de Dambi, Éthiopie] Kotora Guracha, 52 ans, et Kana Jarso, 50 ans, travaillent tous les deux depuis quatre mois à la mine d'or de Dambi. Ils sont originaires du village de Boku, situé à 70 kilomètres, où leurs troupeaux respectifs ont été décimés par la sécheresse. Ils déclarent gagner chacun environ 1000 birrs (16 euros) par semaine, dont ils envoient la moitié à leurs familles. Auparavant, ils travaillèrent pendant un an à la mine d'or de Dabel, mais comme beaucoup d'autres, ils n'y trouvèrent pas d'or.


[Mine d'or de Dambi, Éthiopie] Guyo Bule, 15 ans, et Rob Dima, 22 ans, récupèrent de l'eau qui leur servira à séparer l'or de la terre. Ces deux-là travaillent en équipe à la mine de Dambi depuis trois mois, et partagent donc leur production d'or. Ils étaient auparavant, comme de nombreux Boranas, à la mine d'or de Dabel située de l'autre côté de la frontière kényane, où l'on comptait en août 2023 près d'un million de travailleurs illégaux. La mine d'or de Dabel a finalement été fermée en mars 2024 par les autorités kényanes.


[Mine d'or de Dambi, Éthiopie] Un orpailleur récupère le grain d'or qu'il vient de séparer de la terre. « Cela nécessite une vingtaine de tentatives pour trouver au moins une fois de l'or », estime-t-il. En moyenne, une équipe de deux trouve 0,1 gramme d'or par jour de travail, soit une paie journalière d'environ 200 birrs (3,2 euros).


[Mine d'or de Dambi, Éthiopie] Guyo Turo dépose dans un petit récipient rempli d'eau l'or qu'il vient de trouver. Cet or sera ensuite vendu aux marchands de Moyale, la ville frontière avec le Kenya, qui le vendront à leur tour pour la plupart à Nairobi, la capitale kényane, où le cours de l'or est plus élevé qu'à Addis-Abeba.
UNE COMMUNAUTÉ SOLIDAIRE
[Dambi, Éthiopie] Quatre orpailleurs reviennent de la mine d'or de Dabel, de l'autre côté de la frontière kényane. En trois mois passés là-bas, aucun d'entre eux n'a trouvé d'or, et ils repartent ruinés, sans avoir de quoi payer le bus pour revenir à leur village, Chapicha, situé à environ 200 kilomètres de Dabel.





[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Une participante à Maqa Basaa, la fête du baptême borana, prépare le bunaa kalee pour la cérémonie. Cette boisson traditionnelle borana, à base de café et d'olive noire, inclut normalement du beurre. Mais en raison de la sécheresse, cet ingrédient devenu rare et cher a été exclu de la préparation.


[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Lors de Maqa Basaa, la fête du baptême borana, les femmes habillées dans leurs vêtements traditionnels chantent et dansent en cercle pendant des heures, en jouant des percussions, jusqu'à rentrer en transe. Des participants au baptême leur donnent de l'argent qu'elles glissent sous leur foulard.


[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Pendant des heures, lors de Maqa Basaa, un groupe de femmes recouvert d'un tissu effectue des vocalises pour invoquer Waaqa, le Dieu suprême de la religion Waaqeffanna, qui est la religion majoritaire parmi les Boranas. Cette religion ancestrale cohabite avec le christianisme et l'islam.


[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Lors de la fête du baptême borana, un jeune homme se remet de ses émotions après être rentré en transe. S'étant joint au cercle chantant de femmes, il a perdu le contrôle de lui-même, s'est mis à se frapper des poings violemment le torse avant de se rouler au sol, les yeux révulsés.
TOUS LES REGARDS VERS LE CIEL
[Dambi, Éthiopie] La famille Godana porte les vêtements traditionnels boranas en préparation de Maqa Basaa, le baptême de leurs trois enfants, une grande fête qui durera quatre jours au total. La famille s'est installée dans le camp depuis le mois de juillet 2022.





[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Lors du baptême de ses trois fils, Bokisa Godana, le maître de cérémonie, désigné par le titre honorifique d'abadjila, chante avec les hommes qui l'entourent des vocalises aux sonorités gutturales. À la fin de la cérémonie, le prénom des trois enfants aura été modifié, et ils connaîtront le prénom qu'ils porteront pendant le restant de leur vie.


[Camp pour personnes déplacées de Moyale Dambi, Éthiopie] De manière hebdomadaire, une partie des femmes du camp pour personnes déplacées de Moyale Dambi se réunissent pour faire le point sur la situation dans le camp, et pour gérer les cotisations de leur pot d'argent commun (likelemba) qu'elles mettent en place pour se prêter mutuellement de l'argent en cas de besoin.


[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Jala Wario, 45 ans, est le devin de la communauté. Après avoir participé au sacrifice de l'agneau qui clôt la fête de quatre jours de baptême, il lit les prévisions météorologiques dans les entrailles de l'animal, en s'appuyant sur les récits de ses ancêtres. « La pluie reviendra pour ganaa, la prochaine saison humide », affirme-t-il.


[Camp pour personnes déplacées de Dubuluk, Éthiopie] Elema Dulatcha Libano, 70 ans, implore des mains Waaqa, le Dieu suprême de la religion Waaqeffanna, pour qu'il mette un terme à la sécheresse qui sévit dans la zone de Borana depuis l'année 2020. « J'avais une belle maison avant de venir ici, et une belle vie. Tout mon troupeau est mort à présent », explique-t-elle.
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LE PHOTOGRAPHE LUCIEN MIGNÉ
Basé à Marseille, Lucien réalise des reportages qui explorent les mécanismes humains, sociaux et environnementaux qui façonnent notre monde actuel. Après plusieurs années de voyages pendant lesquelles il a aiguisé son œil de photographe, il a entrepris des études de cinéma et réalisé plusieurs courts-métrages. Il s'est ensuite tourné vers la photographie documentaire, dans la continuité de son approche de cinéaste : celle de raconter des histoires avec des images.
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Après deux ans d'une guerre qui prit fin en novembre 2022, la question du Tigré occidental n'est toujours pas résolue. Près d'un million de réfugiés attendraient encore dans des camps. Les détournements de l'aide humanitaire, la pénurie d'engrais agricoles, la révolte des miliciens amharas, et les nombreux assassinats politiques plongent à nouveau le pays dans l'instabilité. Reportage sur des charbons ardents.