REPORTAGES PUBLICATIONS CONTACT
DRAGON 74 L'ANGE GARDIEN DES ALPINISTES
CHAMONIX-MONT-BLANC, HAUTE-SAVOIE, FRANCE  •  PHOTOS © TRISTAN REYNAUD / AGENCE ZEPPELIN
En été, une semaine sur deux, l'hélicoptère EC145 jaune et rouge de la Sécurité civile, indicatif « Dragon 74 », est déployé sur Chamonix pour veiller sur le massif du Mont-Blanc. Alain, pilote et chef des bases d'Annecy-Chamonix et Patrice, mécanicien-opérateur de bord et responsable des mécaniciens, prennent la relève de leurs collègues pour 96 heures. Leur cœur de métier, c'est le secours. Et en cette fin de semaine, l'arrivée du soleil et la hausse des températures annoncent une astreinte soutenue. Randonneurs, vététistes, alpinistes et parapentistes réclameront d'être sauvés. Autant de missions techniques dans des conditions parfois extrêmes.
Vertical, l'alignement de l'hélicoptère bouscule les pierres qui tombent dans le vide. La paroi n'est plus qu'à deux ou trois mètres des pales qui tournoient violemment. Dans la cabine, les secouristes retiennent leur souffle, obéissant à Alain, le pilote, qui pour l'instant exige le silence radio. L'équipage répond à l'appel de détresse de deux alpinistes bloqués sur l'aiguille des Grands Charmoz, à environ 3200 mètres d'altitude. L'un d'eux a chuté de plusieurs mètres et doit être hélitreuillé en urgence. Une manœuvre délicate pour Alain qui anticipe les rafales de vent pour ne pas heurter la muraille. Il compte sur Patrice, mécanicien-opérateur de bord (MOB), pour le guider à l'aplomb du blessé. Un binôme qui, ce jour-là, incarne l'engagement des « dragons » en terrain hostile.

Les hélicoptères jaunes et rouges de la Sécurité civile sont des légendes vivantes de l'aéronautique. L'indicatif « Dragon » suivi du numéro de son département évoque, pour beaucoup, un rugissement salvateur. En Haute-Savoie, on compte trois hélicoptères connus sous le nom de « Dragon 74 ». Basés à Annecy et à Chamonix, ainsi qu'en été à Courchevel, ils sont voués à intervenir du lac Léman jusqu'au mont Blanc, mais aussi dans l'Ain, voire en Suisse ou en Italie lorsque les conditions météorologiques l'imposent. Cinq pilotes et six MOB se partagent des astreintes de quatre jours pour être opérationnels toute l'année, 24 heures sur 24. Ils sont les anges gardiens des alpinistes, des sportifs comme des touristes.

Les trois quarts des missions de Dragon 74 sont du secours en montagne et haute montagne. Les vacances scolaires sont l'occasion pour beaucoup d'un grand bol d'air, et en ce beau week-end de juillet, les hommes de la Sécurité civile de Chamonix savent déjà qu'ils ne vont pas chômer. Dès le samedi matin, ils sont contactés par le Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) qui régule les appels de détresse dans le massif du Mont-Blanc. Un parapentiste a été brutalement projeté par le vent sur la crête du mont Joly. L'hélicoptère s'envole aussitôt, libérant ses 2 x 770 chevaux pour déposer deux secouristes et un médecin qui décident de prodiguer les premiers soins sur place. Alain et Patrice peuvent couper les moteurs pour donner un coup de main. La majorité des médicalisations en montagne ou dans l'hélicoptère sont de l'ordre de l'antalgie, telles que des perfusions intra-osseuses de morphine ou des anesthésies locales, mais les secouristes répondent régulièrement à des urgences cardiaques et des détresses respiratoires. Ici, le patient est héliporté jusqu'à l'hôpital de Sallanches où on lui diagnostiquera un poumon perforé.

La mission suivante est transmise par radio en vol. Alain détermine la trajectoire idéale en consultant les moindres détails de la carte. Il doit contourner les lignes à haute tension, les slacklines, et les secouristes sont mis à contribution pour repérer les parapentes aux alentours. « En voilà un qui a dû décoller du mont Blanc ! », s'agace le pilote qui doit subitement virer pour éviter le fautif dont la voile risquerait de se mettre en torche. S'en suivent les sauvetages d'un alpiniste blessé à la cheville, d'une vététiste à l'épaule, d'un autre parapentiste hélitreuillé en civière, et d'une famille égarée. Ces derniers se sont retrouvés bloqués dans de fortes pentes et, un peu honteux, ont décidé d'appeler le 112. Mais ce qui s'apparente à une opération de routine prend une tournure plus complexe. L'escarpement empêche l'hélicoptère de se poser, donc le pilote opère un « appui patin » pour transborder le groupe sous le rotor tournant. La manœuvre est délicate, et Patrice doit guider Alain pour que seul l'avant d'un des deux patins touche le sol. Deux secouristes descendent et scindent la famille en deux groupes : chacun repartira avec un adulte et un enfant, soit deux allers-retours pour ramener les quatre randonneurs en lieu sûr. « Pour nous, il n'y a pas de petit secours, parce qu'avec une telle machine, le moindre grain de sable peut être catastrophique », confie Alain en rédigeant son compte-rendu de vol.

Repus d'oxygène et de fondue savoyarde, les Chamoniards passent une nuit tranquille sous la vigilance de Dragon 74, toujours prêt à décoller grâce aux jumelles à vision nocturne. Abrité dans le hangar de la base, l'aéronef est passé en revue par le mécanicien qui, tel un horloger, ne laisse rien au hasard. Le lendemain, comme chaque matin sur la drop zone des Bois, Alain accueille les secouristes en leur rappelant les règles de sécurité. En tant que pilote, il est le chef d'équipage et c'est à lui que revient la responsabilité de chaque mission.

Ce jour-là, ils rejoignent le glacier d'Envers du Plan, à 3400 mètres d'altitude, pour sortir un homme tombé dans une crevasse. Ils déposent les deux secouristes, du matériel et restent quelques minutes en vol stationnaire pour connaître les besoins. La femme de la victime et ses deux enfants ont bien réagi : ils ont sécurisé la cordée, mais les secouristes réclament un troisième confrère, un deuxième treuil et une corde. L'hélicoptère retourne à la base où le MOB en profite pour faire le plein de kérosène. Il repart à 240 km/h et livre le nécessaire. Pendant que le sauvetage se poursuit au sol, le pilote répond à une autre mission : un gardien de refuge s'inquiète qu'un groupe d'alpinistes ne soit pas rentré, alors qu'une coulée de neige a été signalée à proximité. Les pilotes vont lever le doute, et reviennent finalement sur la crevasse pour évacuer le blessé et sa famille. Un troisième aller-retour sera nécessaire pour ramener les sauveteurs et le matériel. In fine, le pilote aura effectué presque quatre heures de vol d'affilée, autrement dit sans mettre pied à terre.

D'ordinaire, les cinq pilotes de Dragon 74 effectuent près de 1300 heures de vol par an, mais pendant le confinement sanitaire en 2020, leur activité a chuté. Ils ont donc apporté leur aide à l'hôpital de Mulhouse qui, dès le mois de mars, avait été durement touché par le Covid-19. Fort de leur expérience acquise, ils ont doté la base d'Annecy d'une logistique adéquate pour affronter l'épidémie depuis chez eux, avec une zone propre et une zone sale. Des tenues de protection identiques à celle des soignants équipaient les pilotes et les MOB pour les transferts de patients malades. Un épisode saisissant, empreint d'abnégation.

Chaque année, les équipes de la Sécurité civile de Haute-Savoie sauvent plus de 1500 personnes par la voie des airs, à l'instar de cette famille d'alpinistes qui, deux semaines après sa chute dans une crevasse, a retenté son ascension avec succès. Ils ont d'ailleurs envoyé un long courriel de remerciements à l'équipage, sans qui la montagne leur aurait définitivement fermé ses portes.

Julien Pannetier








LE PHOTOGRAPHE  TRISTAN REYNAUD
Tristan couvre l'actualité française pour l'agence Sipa Press. Politique, société et culture sont les grands thèmes qui l'emmènent sur différents terrains d'investigation : élections présidentielles françaises, frontière hongroise, problématiques migratoires. Il s'oriente aujourd'hui vers des histoires plus longues. Il publie dans les plus grands magazines (Paris Match, Le Monde, Le Point, L'Obs, …).
VOIR AUSSI  COVID-19 : LES DRAGONS À LA RESCOUSSE
Avril 2020. En temps normal, 80 % des missions de Dragon 74 sont du secours en montagne et haute montagne. Mais avec le confinement, l'activité des équipes a chuté. Capable d'intervenir face à l'épidémie de Covid-19, la base s'est donc dotée d'une logistique adéquate, avec une zone propre et une zone sale. Des tenues de protection identiques à celle des soignants équipent désormais les pilotes et mécaniciens opérateurs de bord pour les missions de transferts de patients covid+.