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À Estación Ipiña, petit village à 45 km au nord-ouest de San Luis Potosí, les 250 habitants sont respectueux du temps. Sur les 9000 hectares dont ils disposent, certains vivent de l'élevage de chèvres ou de vaches, de la production de fromage, de la culture de maïs ou de nopales (figuiers de Barbarie), mais ici le principal employeur c'est la distillerie Júrame. Régulièrement, les paysans partent couper le « maguey », comme ils l'appellent l'agave, que du personnel de la mezcalera ramènera en camion. Pour arriver à maturité, l'Agave salmiana a besoin de 10 à 14 ans de croissance en pleine terre. Il doit être castré quand le quiote, longue hampe où se forment les fleurs, commence à pousser. Naturellement, chaque agave meurt après sa floraison, donc pour les paysans, autant le laisser vivre encore deux ans sans son quiote pour qu'il continue de se charger en sucre. Les agaves se multiplient également par leurs racines, formant des drageons que les paysans savent replanter à proximité avant qu'il ne se mette à pleuvoir. Cela assure une reproduction suffisante pour les intérêts de la communauté vis à vis du milieu naturel. La mezcalera Júrame emploie 53 personnes qui vivent toutes dans le village. Pour elles, il s'agit d'abord de cuire les magueyes que les paysans ont débarrassé de leurs feuilles. Chaque cœur (piña) pèse en moyenne 60 kg, mais certains peuvent atteindre 300 kg. Pendant une semaine, ces énormes masses fibreuses sont mijotées à la vapeur, passant du vert au brun, dégageant une douce odeur de caramel. Elles sont ensuite broyées sous plusieurs meules en pierre pour en extraire le suc. Si le moteur thermique remplace aujourd'hui la force du cheval, le procédé est inchangé depuis bientôt deux siècles. Fermenté avec diverses levures, le jus mousseux est finalement distillé pour obtenir une boisson translucide et parfaitement incolore. Ainsi naît le mezcal, dont l'appellation requiert un volume d'alcool compris entre 35 et 55 %. Au sein de la maison Júrame, il faut compter 30 à 35 kg de cœurs d'agave pour produire un litre de mezcal, le « joven » (alcool blanc) titrant à 37 %, et le « reposado » à 39 %. Ce dernier a passé six mois dans des fûts de chêne pour arrondir ses arômes, le bois lui donnant d'ailleurs une jolie teinte jaune. Mis en bouteilles au sein de la mezcalera, ce produit phare de l'altiplano revient pourtant de loin. Après plus de trois décennies à l'abandon, un couple s'enquiert de l'outil de production. José Eduardo Lomelí Robles, alors professeur d'économie et en charge de plusieurs commerces, et son épouse, Elia Viramontes Bautista, rachètent la mezcalera, mais elle est trop vétuste. Faute de rentabilité, ils ferment à leur tour, rouvrent, investissent encore, et non sans détermination, finissent par déposer la marque Júrame. Ce nom, qui signifie littéralement « Jure-moi », assoit trois piliers fondamentaux pour une production raisonnée du mezcal, comme un pacte entre la communauté et le maguey. Le premier est un serment à la terre, pour que le maguey puisse continuer de pousser à maturité et de manière sauvage. Le deuxième est un serment au temps, celui de la communauté qui aime le calme et la contemplation, et dont il ne faut pas interrompre les fêtes et les traditions ; le temps nécessaire à l'élaboration du mezcal selon des procédés traditionnels, avec un maguey mûr et une cuisson lente. Enfin, le troisième serment est fait à la mémoire collective, pour que la mezcalera et ses savoir-faire perdurent éternellement, permettant à la communauté de continuer à vivre sur ses terres. Un défi d'autant plus qu'en 2023, il ne reste plus que trois autres mezcaleras en activité dans le secteur : Santa Teresa, Saldaña et La Pendencia. Le propriétaire exploitant de Júrame est très investi dans la vie locale. Par ailleurs directeur de l'Instituto Cervantes Apostólica, une école internationale à San Luis Potosí, José Lomelí ne perd jamais une occasion d'aider la communauté rurale. Ici, dans le village de Estación Ipiña, l'entrepreneur souhaite notamment pallier les carences médicales et éducatives. Ainsi emploie-t-il des villageois, dont des jeunes pour qu'ils puissent financer leurs études. Avec sa femme et des professeurs de son école, il offre également des cours de soutien scolaire aux enfants. Avec des amis médecins bénévoles, il propose des visites médicales et ophtalmologiques une à deux fois par mois. Grâce à des dons privés, il permet aux villageois d'acquérir des lunettes à leur vue pour quelque 50 pesos (2,50 euros). Autant de services sociaux qu'il exige de troquer contre des sacs remplis de déchets recyclables que les habitants veulent bien lui ramener. Plus qu'une sensibilisation à l'écologie, cela évite qu'ils brûlent, abandonnent ou enterrent leurs déchets dans la nature qui les nourrit. Jean-Félix Fayolle
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